Interview de Luc Carvounas « L’Ile-de-France, région officiellement la plus riche du pays, concentre 1/5 de la pauvreté en France. »

Interview de Luc Carvounas « L’Ile-de-France, région officiellement la plus riche du pays, concentre 1/5 de la pauvreté en France. »

Le secrétaire général de l’Association des Maires d’Ile-de-France (AMIF), Luc Carvounas, est également président de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas). L’occasion de revenir sur les missions de cette association et sur les chemins d’actions possibles qui s’ouvrent aux maires face à l’augmentation de la pauvreté en Ile-de-France.

 
 

 

Qu’est-ce que l’Unccas ? Quelles sont ses missions principales ?

L’Unccas est une association d’élus, comme l’AMIF. Ses adhérents, les maires et leurs adjoints, représentent les centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS/CIAS), dont ils sont respectivement président ou président délégué.

Plus vieille association d’élus après l’Association des Maires de France (AMF), sa raison d’être est de représenter ses adhérents auprès du Gouvernement, du Parlement et des institutions européennes, pour porter la voix des élus locaux sur les sujets aussi divers que les solidarités, l’accès aux droits, le handicap, le logement, la santé mentale ou encore le grand âge. Par ailleurs, la délégation générale rend aux adhérents tout un ensemble de services, comme des formations ou un support juridique et technique.

La crise sanitaire et l’inflation ont accéléré la paupérisation de nombreux foyers franciliens. Avez-vous des chiffres sur l’augmentation de la pauvreté en Ile-de-France ?

En effet, nos CCAS accueillent, depuis bientôt trois ans, de nouveaux publics que nous n’avions pas l’habitude de voir : des jeunes, souvent étudiants précaires, des couples avec enfants, des seniors, retraités aux pensions trop modestes pour subvenir à leurs besoins. Au niveau de l’Ile-de-France, l’Observatoire de la pauvreté nous alerte sur le taux de pau- vreté de 15 %. La région, officiellement la plus riche du pays, concentre un cinquième de la pauvreté en France.

“ La crise inflationniste – dont nous ne sommes pas du tout sortis d’ailleurs – nous a poussé à réfléchir à la manière dont nous accompagnions les citoyens vers la sécurité alimentaire et énergétique. ”

Quels enseignements tirer de la crise sanitaire et de la hausse des prix ? Et quelles conséquences pour les CCAS ?

Ces deux crises nous ont rappelé l’importance de la première ligne face aux marasmes. Car même lorsque l’État se laissait déborder par le chaos de l’épidémie, ce sont les communes et leurs CCAS qui ont organisé la continuité des services aux personnes, le soutien social, économique et psychologique aux citoyens.

La crise inflationniste – dont nous ne sommes pas du tout sortis d’ailleurs – nous a poussés à réfléchir à la manière dont nous accompagnions les citoyens vers la sécurité alimentaire et énergétique. À l’Unccas, bien que nous reconnaissions leur utilité, nous ne croyons pas à la pérennité des dispositifs qui ont pour base des chèques, et appelons à une véritable réflexion autour de l’accès aux ressources de première nécessité, afin que des situations où les familles ne peuvent plus se nourrir ou payer les factures ne se reproduisent pas à chaque événement géo-politique.

Quels doivent être les axes prioritaires pour accompagner au mieux les habitants en situation précaire ? Constatez-vous des freins qui ralentiraient l’exécution des missions des CCAS ?

Mes collègues maires me font systématiquement remonter la problématique des familles monoparentales, sur lesquelles tous les acteurs de la solidarité : État, départements, CCAS, doivent porter une attention particulière. Nous devons nous féliciter des annonces du ministre des Solidarités à ce sujet lors de sa prise de fonction, mais rester vigilants à la traduction des promesses.

Plus largement, le financement de l’action sociale est constant, alors même que les besoins augmentent, comme vous le savez, du fait de l’inflation et des conséquences économiques et socialesdelacrisesanitaire.La question financière, même si elle ressemble à un marronnier, va finir par se poser sérieusement. Enfin, le principal frein tient à mon sens dans l’inaction totale face à la crise profonde des métiers du médico-social.

Quelle est la nature des liens que l’État entretient avec les collectivités territoriales en matière d’action sociale ?

L’action sociale repose sur deux jambes : la première, l’État, a pour rôle de coordonner, d’impulser, dans une certaine mesure, le financement des politiques publiques ; la seconde, les CCAS, met en œuvre dans chaque territoire, en proximité des citoyens, les dispositifs de solidarité et accueillent les publics, qu’ils connaissent par ailleurs grâce à leur analyse des besoins sociaux.

Mais les relations avec l’État ne sont pas toujours un long fleuve tranquille. Le ministre de l’Économie, dans une récente interview, a parlé de « passer au peigne fin » nos dépenses, se préparant à trancher dans celles qu’il jugera « inutiles ». Faut-il que nous nous préparions à une bataille rangée face à un Gouvernement qui prévoit de trancher dans les ressources de l’action sociale ? Je ne le souhaite pas, mais nous n’aurons pas peur de nous mobiliser fortement, nous, élus locaux, face à toute tentative de ce type.

” Le maire, c’est le visage de la puissance publique, celui qu’on peut croiser au café ou au marché, parce qu’il est près de nous. “

Quelle peut être la place du maire dans l’exécution des politiques d’action sociale ?

Le maire, c’est le visage de la puissance publique, celui qu’on peut croiser au café ou au marché, parce qu’il est près de nous. Le prochain mouvement de décentralisation devra s’appuyer sur le bloc communal, car c’est le dernier échelon qui emporte la confiance des citoyens.

Pour mener les politiques d’action sociale, le maire, à la fois comme premier magistrat et comme président du CCAS, connaît sa population, ses besoins sociaux, et est à même d’agir. Mais les dépenses des collectivités sont toujours plus contraintes, et la liberté d’action de nos édiles réduite d’autant. Pour autant, il ne faut pas renoncer, et beaucoup de maires – je pense notamment à Jean-Jacques Thomas, maire d’Hirson (02) – ont su innover pour accompagner leurs concitoyens. 

Comment maintenir le lien entre la commune et les habitants en situation de pauvreté ?

Il y a autant de réponses à cette question qu’il y a de communes et de maires dans ce pays ! Mais je dirais qu’en premier lieu, il ne faut jamais renoncer au contact humain. Si la numérisation a permis de nombreuses avancées, et facilite dans une grande mesure le travail des administrations, il ne faut pas laisser de côté ceux qui n’ont pas pris en marche le train du tout- digital. Je pense en particulier à certains seniors.

La marque du CCAS, c’est qu’il reçoit, qu’il accompagne. Le bloc communal est le premier guichet républicain et ça n’est pas rien : c’est vers lui que se tourne celui qui est en difficulté, car il sait qu’il aura une oreille, et non un écran, avec qui discuter des problématiques qu’il rencontre.

Plus largement, l’Unccas travaille depuis plusieurs années sur les dispositifs « d’aller-vers », afin d’aller chercher ceux qui ne recourent pas aux aides, qui ne franchissent pas la porte des CCAS. C’est à mon sens le grand mouvement que devra suivre le service public de proximité dans les décennies à venir.