Grand débat ImPACtons –  » La PAC fait partie du revenu des agriculteurs. Quelle autre corporation accepterait que son avenir soit décidé et dépende d’une consultation populaire ? « 

Grand débat ImPACtons –  » La PAC fait partie du revenu des agriculteurs. Quelle autre corporation accepterait que son avenir soit décidé et dépende d’une consultation populaire ? « 

Guy Crosnier est élu local (maire et conseiller départemental) et agriculteur. Céréalier dans le sud Essonne, il est en cours de conversion de son exploitation au bio avant de passer la main à son fils. Il a bien voulu partager son analyse concernant l’organisation de ce grand débat public sur l’avenir de la politique agricole commune.

Quel regard portez-vous sur le débat ImPACtons qui vient de s’achever ?

L’idée et la démarche sont plutôt vertueuses mais toutes sortes de dérives sont possibles avec le risque que « la foule dépasse le peuple ». Il y a toujours des gens qui parlent plus fort que les autres et ainsi déplacent le débat. Ma seule crainte est de savoir ce qui va être fait des résultats de ce débat. On peut faire dire ce que l’on veut à des résultats et on sait que la démocratie participative peut être à sens unique. C’est dangereux si c’est mal interprété ou orienté.

Je ne suis pas fondamentalement contre la méthode mais ce qui me gêne c’est qu’une fois de plus, c’est l’agriculture qui sert en quelque sorte de cobaye. C’est vrai que l’air et l’eau sont des biens universels que l’on doit se partager et préserver mais quand Airbus décide de changer ses avions, on n’organise pas un débat public pour savoir si c’est bien ou pas bien et les passagers d’un même Airbus ne s’improvisent pas pilotes !

Le monde agricole est épidermiquement sensible et on peut le comprendre car c’est encore l’agriculture qui fait office de ballon d’essai dans cette affaire. La PAC fait partie du revenu des agriculteurs. Quelle autre corporation accepterait que son avenir soit décidé et dépende d’une consultation populaire ? Et je constate aussi que s’il s’agit d’une obligation européenne, la France est encore le bon élève de l’affaire puisque c’est le seul pays à organiser des débats à l’échelle nationale sur le sujet.

Cela étant dit, pour moi la première étape de la démocratie participative, c’est l’élection et le bulletin de vote.

Nous sommes élus par le peuple et nous le représentons, c’est cela notre légitimité et c’est cela notre mandat.

Est-ce que ce n’est pas une façon de mettre l’agriculture au centre du jeu ?

Absolument, le gros déficit de l’agriculture, c’est son manque de communication. Le mot d’ordre de la profession c’est de dire aux gens d’aller dans les réunions et de répondre aux questions. Plus vous vous investirez dans les débats, plus vous pourrez rétablir les vérités et vous témoignerez de ce que vous faites et de ce que vous vivez.
Parce qu’aujourd’hui, l’agriculture est un monde en souffrance. Les agriculteurs sont accusés de tous les maux et on ne cesse d’opposer les métiers de l’agriculture, céréaliers contre éleveurs ou maraîchers et les méthodes, bio ou conventionnelles.

À titre personnel, je suis en train de passer en bio pour laisser mon exploitation à mon fils. Mais c’est un gros et long chantier – près de 5 ans – et c’est un investissement financier important en raison du manque à gagner pendant la période de conversion.

De quoi souffre l’agriculture aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on constate une forte stigmatisation des méthodes. D’un côté, nous sommes adorés du public et l’affluence à tous les salons de l’agriculture le démontre chaque année. Et si la crise sanitaire a eu au moins une vertu, c’est celle de faire redécouvrir l’agriculture locale et de proximité.

Et d’un autre côté, une forte suspicion pèse sur les méthodes. Mais il ne faut pas oublier que l’agriculture s’est toujours adaptée à ce que le consommateur voulait. Quand il voulait beaucoup de marchandises, on a fait beaucoup de marchandises avec les moyens que nous avions à l’époque.

Moi qui suis dans la profession depuis longtemps, je vois bien la différence entre les méthodes que j’employais il y a 30 ans et aujourd’hui. C’est sans commune mesure, les normes étaient différentes. Les produits étaient certes homologués mais avec des critères qui n’ont plus rien à voir avec ceux d’aujourd’hui et c’est tant mieux. Le problème c’est qu’au niveau européen tout le monde n’est pas soumis aux mêmes règles. Ce qui fait le plus de mal à l’agriculture, c’est la distorsion entre les méthodes et les modes de production. La PAC coûte 0,18 € par jour aux Européens. On ne peut pas dire que cela soit exorbitant par rapport à ce qu’apporte l’agriculture : l’aménagement du territoire, l’entretien des paysages, la sécurité alimentaire, la nourriture dans les assiettes…

Aujourd’hui, nous disposons d’outils très précis pour traiter nos champs qui évitent les dérives, pas une goutte ne sort des parcelles traitées. Certaines idées reçues concernant les odeurs doivent être battues en brèche. Beaucoup de gens pensent que si cela sent mauvais, ce n’est pas bon. Mais moi en passant en bio, je vais remplacer mes engrais chimiques par des composts et cela ne sentira pas meilleur.

Justement, est-ce que cette grande enquête au niveau européen va permettre d’harmoniser les choses ?

Trop passionner les débats est dangereux, de quelque côté que l’on soit. L’agriculture est en marche, elle ne cesse de progresser mais on a tendance à oublier les efforts qui ont déjà été faits. On ne regarde pas d’où nous sommes partis. On regarde à un instant T et on nous demande de produire plus blanc que blanc en 3 ans.

Nous sommes une des professions qui a le plus progressé en 50 ans. Les agriculteurs sont même plus connectés que la moyenne des Français ! Après la révolution mécanique, nous vivons une nouvelle révolution digitale avec l’enjeu de l’exploitation des données. Aujourd’hui dans nos moissonneuses, nous avons du matériel embarqué qui permet d’analyser en temps réel la qualité et la quantité de la récolte. Ce qui veut dire que les fonds de pensions américains savent à un instant T combien il y aura de tonnes de blé à vendre sur la planète et à quel prix.

Comment les agriculteurs et les élus locaux ont-ils été informés de ce débat ?

En tant qu’agriculteur, j’ai été informé par la profession. Mais en tant qu’élu local, je trouve qu’il n’y a pas eu tellement de publicité. J’aurai préféré davantage d’information parce que s’il n’y a que des initiés d’un côté comme de l’autre, on se retrouve avec des affrontements entre spécialistes et c’est dommage.

Finalement ce que je vois comme avantage à ce genre de débat, c’est que les gens qui ne sont pas du secteur ou du métier puissent apprendre des choses et sortent des idées reçues. Prenons un exemple : aujourd’hui, quand on voit un pulvérisateur dans un champ, les gens pensent aussitôt que c’est toxique, alors que ce peut être un produit homologué en bio comme par exemple le purin d’ortie. N’oublions que nous n’avons jamais aussi bien mangé. Aujourd’hui, tout est tracé et c’est tant mieux.

Bilan et propositions du débat ImPACtons

Revisitée tous les 7 ans, la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) 2021-2027 est en cours de négociation. Pour la première fois, la Commission européenne a demandé à chaque état membre d’élaborer un Plan stratégique national (PSN) afin de définir ses priorités et ses choix de déclinaison nationale.

La France a donc initié un débat public sur le plan stratégique national de la Politique agricole commune. Débat qui a été porté et animé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Après plusieurs mois de débats perturbés par la crise sanitaire, la CNDP a publié le compte-rendu détaillé ainsi que des propositions qui ont été adressés au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation le 7 janvier 2021.

Le 7 avril 2021 au plus tard, le ministère devra présenter, dans un document également public, les conclusions qu’il en tire quant aux principales modifications apportées et les mesures proposées pour y répondre et décider des suites qu’il donnera au débat dans le cadre de l’élaboration du Plan Stratégique National pour la PAC.

Pour la CNDP, ce débat public a permis « de faire débattre la société dans toute sa diversité et a témoigné d’un fort attachement de nos concitoyens à leurs agriculteurs avec une volonté d’accélérer la transition écologique, de développer une agriculture de proximité et de pleinement garantir notre souveraineté alimentaire ».

Le débat ImPACtons a démontré « la forte aspiration de nos concitoyens à débattre de la place de l’agriculture et de l’alimentation dans notre société » : plus de 1 870 000 personnes ont été touchées, 12 660 contributions ont été recueillies et 1 083 propositions ont été portées par le public qui s’est mobilisé.

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