Terrorisme : « les élus peuvent enfin être informés sur les profils à risque »

Le Parisien

Le décret est passé complètement inaperçu le 29 juin dernier. Pourtant, beaucoup d’élus à la tête d’une collectivité territoriale l’attendaient depuis longtemps. Concernant de futurs recrutements, ce texte leur permet ainsi de demander aux services habilités d’interroger le fichier national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) afin de savoir si le candidat(e) y est répertorié.
Car entre l’infraction et l’éventuelle condamnation, il peut s’écouler plusieurs années durant lesquelles les auteurs sont parfois libres et peuvent travailler. Le casier judiciaire ne fait apparaître en effet que les jugements définitifs. La fonction publique n’est pas la seule concernée par le nouveau décret. Les recrutements chez un opérateur d’une importance vitale, dans une installation classée Seveso ou dans le domaine de la sécurité, de l’enseignement, de l’éducation ou des transports sont aussi cités par le décret. Ce fichier peut être donc consulté par des agents habilités de la préfecture, de la gendarmerie, du rectorat, des services pénitenciers… à la demande, par exemple, de la RATP, de la SNCF ou encore d’une entreprise de gardiennage.

Le maire (LR) d’Aulnay a informé ses collègues de l’existence du décret
Dans une lettre adressée cette semaine au préfet Philippe Galli, Bruno Beschizza, le maire (LR) d’Aulnay-sous-Bois s’étonne de la discrétion des pouvoirs publics concernant ce décret. Il en a profité pour envoyer sa lettre aux 39 autres maires de la Seine-Saint-Denis afin de les prévenir. Selon la préfecture, « [le décret] est connu de l’ensemble des administrations publiques (services de l’Etat et collectivités territoriales), les modalités de publicité au Journal officiel étant remplies. » Quant au ministère de l’Intérieur, il n’a pas souhaité communiquer.

Ce n’est pas un hasard si le maire d’Aulnay a réagi. En janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, l’élu avait écrit au ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve lui faisant remarquer que les frères Mehdi et Mohammed Belhoucine, complices présumés d’Amedy Coulibaly, avaient été employés par la mairie d’Aulnay à plusieurs reprises entre 2009 et 2014 à des postes en contact avec des enfants. Or Mohammed avait été arrêté en 2010 et mis en examen pour son appartenance à une filière djihadiste. Il a continué à être salarié de la ville avant sa condamnation en 2014.

« Je veux juste activer le principe de précaution »
« A aucun moment, la ville n’avait été avertie c’est pourquoi j’avais demandé à l’époque que les élus puissent être informés sur tous les profils à risque », détaille Bruno Beschizza. « Qu’elle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai appris au cœur de l’été qu’un décret allant dans ce sens est entré en vigueur depuis un mois. »
« Je veux juste activer le principe de précaution, poursuit l’élu. Car je refuse que mes administrés puissent un jour me reprocher d’avoir fait travailler un terroriste potentiel, insiste-t-il. Plus globalement, il faudrait pouvoir faire cette demande sur l’ensemble du personnel et pas seulement sur les nouveaux recrutés. »

Pour le maire de Sevran, il faut aller plus loin
D’autres comme Stéphane Gatignon, le maire écologiste de Sevran qui n’était pas au courant non plus de ce nouveau décret, vont encore plus loin. « Ce n’est pas suffisant, martèle-t-il. Il faut que les renseignements intérieurs remettent des types sur le terrain et que ces derniers rencontrent les maires régulièrement pour échanger des informations sur les radicalisés, notamment les fichés S. Comme autrefois avec les renseignements généraux. Tant qu’on ne mettra pas ce type de moyens en place, on ne gagnera pas la guerre contre le terrorisme. » L’élu sait de quoi il parle. Une habitante, mère d’un jeune djihadiste mort en Syrie, l’avait accusé de n’avoir rien fait pour empêcher son fils de partir.

A l’Association des maires d’Ile-de-France (Amif), on découvre aussi l’existence de ce décret. L’absence d’information est d’autant plus mal vécue que l’association prépare un livre blanc… sur la sécurité qui sera remis au Premier ministre en fin d’année. « Le combat contre le terrorisme passe par une plus grande coopération et une plus grande transparence de la part des services de l’Etat, insiste Dominique Bailly, maire UDI de Vaujours (Seine-Saint-Denis) et vice-président à l’Amif chargé des questions de sécurité. Visiblement, il y a encore du travail. »

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