28 mars 2022
La question des banlieues, stigmatisées à droite, absentes des discours à gauche, est reléguée au second plan, déplorent élus et associations. Jean-Louis Borloo sonne l’« alarme ».

Il n’a jamais commenté publiquement la séquence, jamais reparlé ouvertement de son « plan » pour les quartiers populaires, présenté au président de la République Emmanuel Macron, en mai 2018, et balayé aussitôt par ce dernier. Quatre années se sont écoulées et Jean-Louis Borloo a pris la plume pour parler de la France, poser son diagnostic sur la situation du pays et appeler à une remobilisation nationale. Notamment en faveur des banlieues.
Dans « L’Alarme », un texte de 92 pages en forme de manifeste publié le 25 mars en ligne, il regrette le temps des « coalitions » et des « branle-bas de combat », et propose un pacte de « réconciliation nationale » avec les 10 millions « d’oubliés ». « Six millions d’habitants vivent dans 1 200 quartiers “Politique de la Ville” ou “prioritaires”, dans une forme de relégation, d’amnésie de la nation, réveillée de temps à autre par quelques faits divers, écrit-il. Au total, avec les départements et territoires d’outre-mer et les zones rurales en grand déclassement, ce sont près de dix millions de nos concitoyens qui ne sont plus réellement dans un schéma d’espérance. Attention, il y a danger. » Il plaide à nouveau pour « un plan massif, immédiat, avec une efficacité mesurable ».
Comment interpeller les candidats ?
Si l’ancien ministre de la ville de Jacques Chirac appelle à « un nouveau souffle » et alerte sur ces « fragilités nationales », les candidats à l’élection présidentielle peinent à se saisir du sujet. Les quartiers populaires et leurs habitants sont jusqu’à présent les grands perdants de cette campagne. Ils sont au cœur des discours des candidats de droite, sans cesse stigmatisés, montrés du doigt. Ils sont en revanche absents des discours des prétendants de gauche, comme oubliés, négligés. Quant au président candidat Emmanuel Macron, il s’est rendu, lundi 28 mars, à Dijon, pour parler jeunesse, formation professionnelle et politique de la ville. Pour présenter son programme, le 17 mars, il avait choisi les Docks de Paris, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), mais il n’avait pourtant pas dit un mot sur les banlieues.
Face à la « tétanisation de l’arc gauche » et à « l’hyperprésence des thèmes de droite », face à un « débat démocratique anesthésié » et à « l’absence de relais », selon les formules de Philippe Rio, maire communiste de Grigny (Essonne), associations, acteurs de terrain et élus se voient contraints d’imaginer de nouveaux moyens d’interpellation des candidats afin de faire exister leurs thématiques.
« On se sent privé de ce temps démocratique que représente d’ordinaire une campagne présidentielle, lance Mohamed Mechmache, acteur historique des quartiers et président de la coordination nationale Pas sans nous. Il n’y a eu aucun débat sur la question de la justice sociale. Alors c’est à nous de nous auto-organiser pour essayer de faire valoir nos propositions. » Samedi 12 mars, au théâtre Le République, à Paris, la coordination a elle aussi présenté son « manifeste » au terme de son opération « Nos quartiers ont de la gueule », un tour de France en caravane d’un peu plus de quatre mois qui a fait étape dans quarante-quatre villes.
Mobilisation des maires
Quelques jours plus tôt, le 9 mars, ce sont les maires de banlieue qui ont présenté une « Harangue à la nation » – et aux candidats – destinée à mettre en avant leurs suggestions de manière « accessible » et « non technocratique ». Lundi 28 mars, six associations d’élus – Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, Association des maires d’Ile-de-France, Association des petites villes de France, France urbaine, Villes de France et Ville & Banlieue – ont proposé elles aussi leur « contribution commune » à l’attention des candidats. « C’est la première fois que nous portons la question des quartiers ensemble », souligne M. Rio.
« Il y a eu une amorce de dialogue il y a plus de quatre mois, et depuis, plus rien, les thèmes de l’extrême droite sont omniprésents – “à bas les musulmans” , “à bas l’immigration” – tandis que les thèmes opposés sont inexistants », se désespère aussi Samuel Thomas, président de la Fédération nationale des Maisons des potes.
Fin octobre 2021, lors des universités européennes des Maisons des potes, les représentants des candidats de gauche s’étaient déplacés pour se prononcer notamment en faveur du droit de vote pour les étrangers non communautaires aux élections municipales et européennes, ou encore, du côté des membres de la campagne d’Anne Hidalgo, de la régularisation des travailleurs étrangers sans papiers disposant d’un contrat de travail. Deux mesures qui suscitent l’adhésion de respectivement 56 % et 61 % des personnes interrogées lors de l’enquête Harris Interactive réalisée pour la Maison des potes et publiée le 21 mars 2022. Des pourcentages en progression chaque année. « Pourtant, aucun candidat n’a évoqué publiquement ces thèmes depuis, nous n’arrivons pas à les faire vivre », commente M. Thomas, qui mise sur un « sursaut » dans la « dernière ligne droite ».
« Tant que la gauche ne se décide pas à prendre la défense des classes populaires en priorité – habitants des quartiers et des zones rurales, ouvriers, employés, aides-soignants… –, ces sujets n’émergeront pas », prédit Stéphane Troussel, président PS du département de Seine-Saint-Denis et porte-parole de la candidate socialiste Anne Hidalgo. « Pour l’instant, aucun sujet qui les concerne, en premier lieu le logement, ne passe le mur du son », regrette-t-il.
Lui-même doit innover pour tenter de faire exister la parole de ses habitants, parmi lesquels les jeunes. Le 23 mars, le département a organisé une soirée « apolitique et citoyenne » visant à mettre en avant « leurs préoccupations et leurs aspirations » afin d’écouter « ceux qui, stigmatisés plus que jamais pendant cette campagne, ont l’impression que la parole ne leur est jamais donnée ». Vivre dans le respect, la dignité, l’égalité… Les candidats sont invités à leur répondre par vidéo avant le 3 avril.
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