9 mars 2022
Les maires de banlieue ont baptisé ce rendez-vous « Harangue à la nation », il s’agit avant tout d’une « harangue à l’Etat » – un Etat qui les a souvent déçus, malmenés depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Une « harangue » aux candidats à l’élection présidentielle ensuite – des candidats qui tantôt instrumentalisent leurs habitants, tantôt les ignorent. Une harangue aux citoyens, enfin, afin qu’ils ne cèdent pas aux discours de haine qui saturent le débat public.
Mercredi 9 mars, les élus de l’Association des maires ville et banlieue de France ont lancé un plaidoyer au nom des territoires populaires « pour une fraternité nationale retrouvée ». L’objectif ? Faire entendre la voix des quartiers et soumettre leurs propositions.
« C’est la première fois de ma vie politique que j’entends les habitants de nos quartiers être autant vilipendés », lance Catherine Arenou, maire divers droite de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), qui souhaite « changer l’ambiance ». Dans un entretien accordé au cercle de réflexion de sensibilité social-démocrate Terra Nova publié le même jour, elle précise :
« Nous contestons fermement les idées reçues qui associent mécaniquement nos quartiers à l’échec, à la délinquance ou au communautarisme. Ces déviances ne concernent qu’une minorité bruyante. »
Le rôle tenu par les habitants pendant la pandémie
A un mois de l’élection présidentielle, les élus de banlieue rappellent le rôle tenu par leurs habitants pendant la pandémie de Covid-19 – « Ils ont soigné, nettoyé, servi, accueilli… La nation a besoin d’eux, ils ont besoin de la nation » – avant de relancer une idée présentée dans le rapport de Jean-Louis Borloo en mai 2018 : la création d’une cour d’équité territoriale, une juridiction qui serait chargée de sanctionner l’inaction des administrations afin de lutter contre les inégalités. Car, soulignent-ils une nouvelle fois, en banlieue, il y a moins de professeurs, moins de policiers, moins de médecins, moins de tout, comme l’avait pointé du doigt un rapport parlementaire sur la faillite de l’Etat en Seine-Saint-Denis publié en juin de la même année.
A l’époque, le président de la République, Emmanuel Macron, avait balayé l’idée d’une telle juridiction – et le rapport tout entier – de l’ancien ministre de la ville de Jacques Chirac, qu’il avait pourtant appelé à la rescousse six mois plus tôt pour calmer la colère des élus et des associations, très remontés par les coupes budgétaires de 2017 et le gel des emplois aidés. Ce rendez-vous manqué a durablement marqué les quartiers populaires. Et « l’opération de rattrapage », comme les maires appellent la réunion du comité interministériel des villes, en janvier 2021, au cours de laquelle le premier ministre, Jean Castex, a annoncé le fléchage de 3,3 milliards d’euros pour les quartiers fragiles dans le cadre du plan de relance, n’a pas effacé l’affront.
Ils réclament désormais « un changement dans la fabrique des politiques publiques », selon la formule de Philippe Rio, maire PCF de Grigny (Essonne), avec l’arrêt des mécanismes « infantilisants que l’Etat entretient vis-à-vis des quartiers et la politique de la ville » et de son « rapport ascendant » vis-à-vis des collectivités. Preuve de leur capacité à agir et à innover, la mise en place du Conseil national des solutions (CNS), destiné à mettre en avant des dispositifs qu’ils expérimentent déjà avec succès dans leur commune et dont, plaident-ils, la généralisation avec le soutien de l’Etat serait plus efficace que la logique des appels à projet, créatrice d’inégalités.
Lors de la première édition du CNS consacré au sport, en octobre 2021, ils ont décidé de créer des cités olympiques – sur le modèle des cités éducatives – avec les premières Olympiades de la jeunesse, cet été. « Pour les prochaines années, nous demandons de la stabilité, un cadre clair, et pas ficelé d’en haut, conclut Philippe Rio. Parce qu’on a perdu beaucoup de temps et beaucoup d’espoir. »
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