Finances-locales : les maires veulent savoir où ils vont

28 juin 2023


De la visibilité pour la durée de leur mandat, c’est ce qu’ont réclamé des élus lors d’une table ronde sur les perspectives financières et fiscales, lors du salon de l’AMIF, l’Association des Maires d’Ile-de-France, organisé à Paris ces 27 et 28 juin 2023.

Inquiets du présent, les élus le sont tout autant de l’avenir à moyen terme. Ainsi l’ont constaté des élus locaux lors d’une table ronde abordant les perspectives pour l’autonomie financière et fiscale des collectivités, mercredi 28 juin à Paris, au Salon de l’AMIF, l’Association des Maires d’Ile-de-France. En support, la première phase d’une étude réalisée conjointement par La Banque postale, Grant Thornton et CBG Territoires – pour l’AMIF – qui sortira dans sa forme actualisée en septembre.

« On va vivre des lendemains qui déchantent et c’est loin de s’arrêter », a estimé Luc Carnouvas, maire (PS) d’Alfortville (Val de Marne) et secrétaire général de l’AMIF chargé des relations avec le Parlement, en égrenant, notamment l’augmentation du point d’indice ou celle du pass Navigo.

530 euros de travaux par habitant

Réalisé auprès de maires franciliens, avant l’annonce de l’augmentation du point indice en juillet, un questionnaire fait état d’une grande incertitude jusqu’en 2026, puisque 55 % des collectivités franciliennes interrogées ne pensent pas activer le levier fiscal (contre 30 % qui y sont favorables). Aussi, 48 % des collectivités souhaitent revoir leur politique tarifaire (30 % sont contre), ainsi que l’a détaillé Adrien Serre, du cabinet d’audit et conseil Grant Thornton. Au chapitre des dépenses, 88 % des mêmes collectivités prévoient une augmentation de leurs dépenses de personnel, dont 30 % la visualisent au-delà de +6 %. En parallèle, 79 % des collectivités misent sur une augmentation de leurs charges à caractère général, dont 18 % au-delà de 9 % d’augmentation.

Dans l’ordre de priorité, les investissements devraient concerner : des projets nouveaux (pour 40 %), l’entretien du patrimoine (moins de 40 %), des dépenses en faveur de la sobriété énergétique (10 à 20 %). Après un début de mandat marqué par la crise sanitaire et économique et une pénurie de matériaux, les collectivités prévoient des dépenses d’équipement en hausse à l’horizon 2026, « à plus de 530 euros par habitant ».

Recours à l’emprunt

Pour y parvenir, les collectivités n’envisagent pas de puiser dans leur trésorerie, mais plutôt d’avoir recours à l’emprunt, quitte à rallonger leur capacité de désendettement « en restant, toutefois, dans des niveaux soutenables. » La part des emprunts dans les recettes réelles d’investissement passeraient ainsi « de 33 à 44 % en moyenne. » A cette date, les niveaux d’épargne sont estimés « stables ou en légère diminution, alors que, sur la période passée, l’épargne brute a globalement progressé malgré le plan de redressement des finances publiques », a estimé le cabinet d’audit.

A noter aussi qu’une différence de situation a été notée entre les communes de moins de 35 000 habitants et les autres, en raison de la structure interne de leurs recettes et dépenses. « Cela conduit à un tassement de l’écart entre recettes et dépenses pour les plus petites communes et progressivement l’écart va augmenter tendanciellement. » Pour les communes de plus de 35 000 habitants, « l’évolution des recettes est plus favorable que la dynamique des dépenses ».

Une visibilité nécessaire

Sur les dotations, Luc-Alain Vervisch, directeur des études à La Banque postale, a estimé qu’entre 2023 et 2026, la contribution de l’Ile-de-France au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) – qui contribue à hauteur de 40 % du dispositif – « diminuerait faiblement jusqu’en 2026 et cela continuerait jusqu’en 2028 » (de 393,4 millions d’euros en 2022 à 388,4 millions d’euros en 2026). Pour ce qui est de la dotation globale de fonctionnement, en revanche, des différences de situations persistent et « deux tiers des collectivités » subiraient une diminution et « un tiers » une augmentation.

Autant de données qui irritent les élus. Pour Daniel Fargeot, maire de Andilly (Val-d’Oise), activer le dernier levier fiscal en augmentant la taxe foncière revient à « pénaliser toujours la même strate ». Il ajoute : « Nous devons travailler à rétablir un impôt car l’ensemble des habitants utilisent les services publics et, pour les conserver, il faut que l’on conserve des moyens qui nous le permettent. »

Il s’est également montré très favorable à plus de visibilité. « La DGF est devenue une peau de chagrin, il faut se battre pour bénéficier de fonds supplémentaires. L’autonomie financière est importante et je serais d’avis qu’en tout début de mandat on ait une fenêtre de tir avec nos recettes sur six ans, pour visualiser nos dépenses d’investissement et de fonctionnement. » Pour Adrien Serre, « la visibilité donnée aux élus est un vrai sujet. » Un avis repris par Luc Carnouvas, selon qui « ce sont les maires qui ont une vision à 360 degrés. On nous fragilise alors que l’on porte 70 % de l’investissement, on est sur une poudrière », a-t-il estimé. « On nous a flattés avec le couple maire-préfet, mais, dès la sortie de crise Covid, on a oublié ».

FOCUS – Les élus regrettent le manque de moyens pour faire vivre la décentralisation

A la question « quarante ans après la décentralisation, les maires disposent-ils des moyens leur permettant de mener à bien leur mandat ? » ils ont unanimement répondu « non ». Dans une autre table ronde du Salon de l’AMIF, mardi 27 juin, les acteurs de la commande publique, réunis en table ronde, ont étayé d’exemples leur constat amer sur les relations entre les collectivités et l’Etat. Et l’incompréhension de leur mission qu’il ressentent de la part du gouvernement.

« La décentralisation est la volonté pour que l’action publique soit appliquée au plus près du terrain », mais « on a le sentiment que personne n’est en capacité d’avoir un avis éclairé sur l’intérêt général », a déploré Philippe Laurent, maire (UDI) de Sceaux et intervenant en tant que vice-président de l’Association des maires de France (AMF). Un avis partagé par Emmanuel Grégoire, premier adjoint (PS) à la maire de Paris pour qui, au niveau de l’Etat, « personne ne croit à la décentralisation mais pense que les élus locaux sont des irresponsables qui dépensent de l’argent inutilement ». Et de poursuivre : « Il n’y a aucune cohérence entre ce que l’on doit dépenser et la cohérence de la fiscalité en face. Ce sont des stratégies de “sauve qui peut”, qui reposent sur le dernier levier à disposition du bloc communal, qui est la taxe foncière. »

Des élus, « pas des paillassons »

Et Stéphane Beaudet, maire d’Evry-Courcouronnes et président de l’AMIF, en pense tout autant quand il constate qu’il y a, pour les collectivités, « de moins en moins de moyens, de moins en moins de capacités car les dotations sont en baisse constante. La démission des maires n’est pas uniquement liée aux agressions car il s’agit majoritairement de maires élus en 2020 qui ont réalisé qu’ils n’avaient pas les moyens de mettre en œuvre le programme pour lequel ils avaient été élus ». Un avis partagé par Othman Nasrou, vice-président (LR) de la région Ile-de-France, qui estime que « les collectivités n’auront pas la fiscalité qui correspond à leurs compétences, tant qu’on remplacera leurs ressources par des dotations jamais pérennisées, jamais actualisées ».

En cause ? L’absence d’un vrai travail partenarial. Pour Philippe Laurent, « le couple maire-Etat peut fonctionner ». Et, face aux marges de manœuvre des élus locaux « progressivement réduites » et ayant conduit à « un point de blocage culturel total », il estime que le changement « doit partir du plus haut niveau de l’Etat». Pour sa part, Eric Césari, vice-président (LR) de la métropole du Grand Paris (MGP), a souhaité que, dans une optique de confiance et responsabilité, les élus locaux soient considérés par l’Etat « comme des partenaires, et non pas des paillassons sur lesquels on peut s’essuyer les pieds à chaque fois qu’il a besoin d’argent ».

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