Entretien avec Stéphane Beaudet, président de l’Association des Maires d’Ile-de-France (AMIF) :  » L’État nous accompagne insuffisamment « 

27 juin 2023

Maire-info
Le Salon de l’AMIF se tient les 27 et 28 juin à Paris. Le président des Maires d’Ile-de-France livre son inquiétude sur les nombreuses démissions d’élus locaux qu’il attribue aux moyens insuffisants et à la pression des administrés. Stéphane Beaudet pointe aussi les relations difficiles entre l’État et les collectivités.

(Interview réalisée par Maires de France, à retrouver sur le site mairesdefrance.com.)

Dans quel état d’esprit abordez-vous le Salon de l’AMIF, qui se tient les 27 et 28 juin, à Paris-Porte de Versailles* ?

Je suis combattif, comme l’ensemble des élus locaux, en dépit des incertitudes sur nos finances, d’un État qui réduit nos moyens et nous transfère discrètement de nouvelles compétences, du climat tendu entre les élus et les citoyens. Je suis très inquiet face aux nombreuses démissions de maires, qui concernent particulièrement les primo-élus en 2020. À mi-mandat, leur nombre a plus que doublé par rapport au précédent mandat. Et une grande part des 1 267 élus franciliens que je rencontre indiquent qu’ils ne se représenteront pas au prochain scrutin municipal.

Faut-il renforcer le statut de l’élu ?

Beaucoup a été fait ces dernières années. Mais ce n’est pas suffisant, notamment sur le volet des indemnités, des frais de représentation et de la retraite. Par ailleurs, les maires sont de plus en plus victimes d’agressions, avec une hausse de 32 % des atteintes envers les élus municipaux entre 2021 et 2022. Cette situation est inacceptable et demande des réponses fermes.

Comment expliquez-vous les nombreuses démissions ?

Il y a une énorme distorsion entre les ambitions que portaient les candidats à l’élection municipale et la réalité du mandat à l’épreuve des faits et au contact d’une population devenue de plus en plus exigeante et, parfois, violente. La légitimité électorale est très fragile et éphémère. Les administrés participent peu à la gestion locale mais ils demandent beaucoup au maire et veulent pouvoir exercer une sorte de droit de véto sur ses décisions en fonction de leur intérêt.

De plus, un maire élu en 2020 connait un choc : il découvre, dans bien des cas, que sa capacité politique de mener ses projets est très réduite compte tenu de son très faible pouvoir fiscal. Son programme électoral est de fait entravé par la faible autonomie financière dont il dispose. Et, quand l’État propose des aides, c’est sous réserve que l’élu réalise des projets correspondant à ses priorités !

Croyez-vous à une réforme des finances locales ?

Cela fait plus de trente ans que l’on nous promet le grand soir des finances et de la fiscalité locale. Nous ne voyons rien venir, si ce n’est une amputation régulière du pouvoir fiscal local, la suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) étant la dernière mesure en la matière. L’État nous transfère petit à petit de nouvelles compétences tout en nous retirant des moyens. Dans le même temps, ses moyens en ingénierie ont fondu au grand dam des communes rurales et périurbaines qui ne peuvent compenser ce manque. Je suis pessimiste.

Que reprochez-vous à l’État ? 

Il nous accompagne insuffisamment. Je suis maire depuis 22 ans. Nous gérons les annonces des gouvernements successifs à l’échelle nationale, souvent dans nos domaines de compétence et assorties de peu de moyens. Ce faisant, l’exécutif transfère aux élus locaux l’impopularité et se défausse sur eux.

Pourriez-vous donner des exemples ?

Deux exemples récents : le premier pour l’établissement des titres d’identité. L’État nous demande d’accélérer les rendez-vous et de nous doter de dispositifs de recueil, tout en promettant des dotations. Nous avons les machines mais les élus se prennent de plein fouet le mécontentement des usagers car les délais de traitement des dossiers par l’État, la fabrication des titres et leur restitution s’allongent : le gouvernement s’était engagé à réduire ce temps mais il vient de passer de 11 à 14 semaines d’attente [à Évry-Courcouronnes] !

Deuxième exemple : le chef de l’État annonce un plan de rénovation énergétique du bâti scolaire. Les parents s’adressent à moi pour savoir quand telle ou telle école sera rénovée. Je suis dans l’impossibilité de leur répondre car l’État n’a précisé ni le calendrier ni le financement de son plan ! Vais-je devoir financer le plan en augmentant la taxe foncière ?

Qu’attendez-vous de la future génération des contrats de ville que l’État doit annoncer prochainement ?

Cela fait quatre ans que l’État doit annoncer ses intentions en la matière. Nous avons deux lignes rouges : il faut impérativement renforcer la mobilisation des crédits de droit commun dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Et adosser la cartographie des quartiers de la politique de la ville à celle de l’éducation prioritaire afin que les dispositifs soient complémentaires et que les moyens soient mobilisés, en évitant les écoles orphelines.

Quelle est la situation du logement en Ile-de-France ?

Nous en en pleine crise de l’offre. Les permis de construire s’effondrent. Les annonces du gouvernement ne sont pas du tout à la hauteur. L’Amif demande le rétablissement de l’aide aux maires bâtisseurs depuis plusieurs années, seule solution efficace pour pouvoir relancer la construction. Il s’agit aussi d’être en capacité de financer la réalisation des équipements publics nécessaires pour accueillir de nouveaux habitants, comme par exemple les écoles. Nous avons besoin de visibilité à long terme. Tout cela ne se fait pas d’un claquement de doigts. En 2019, juste avant la crise sanitaire, nous étions parvenus à sortir un nombre suffisant de logements mais cela faisait suite à des années de concertation entre les élus, les bailleurs sociaux, les promoteurs. Le covid-19 et, aujourd’hui, le zéro artificialisation nette (ZAN) et les délais de concertation ralentissent un peu plus encore les choses. Je suis très inquiet.

*www.salon-amif.fr

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