Interview de Philippe Laurent, maire de Sceaux (92), premier vice-président de la Métropole du Grand Paris et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale

Interview de Philippe Laurent, maire de Sceaux (92), premier vice-président de la Métropole du Grand Paris et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale

 » Le plan de relance, c’est un retour en arrière pour les maires ! « 

Décentralisation, élection présidentielle, sortie de son nouveau livre : l’AMIF a été à la rencontre de Philippe Laurent, maire de Sceaux et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT).

 
 

Quel bilan tirez-vous du mandat présidentiel qui se termine en matière de décentralisation ?

Les cinq années écoulées ne sont pas si différentes des précédentes. La décentralisation regroupe les questions de responsabilité des acteurs locaux, de confiance, de collaboration, de sens commun de l’intérêt général… des choses dont on ne parle jamais entre acteurs publics ! Plus sérieusement, ce dernier mandat est plus que jamais placé sous le signe de l’aggravation : les dotations aux collectivités ont été diminuées. Il ne s’agissait pas nécessairement d’un acte anti-décentralisation, mais la grande erreur de l’administration, c’est de penser que les élus veulent de l’argent, peu importe que cet argent vienne d’impôts ou de dotations. Non ! Le fait de lever de l’impôt est constitutif du pouvoir politique. Le blocage vient d’un manque de confiance sur la qualité de l’utilisation de l’argent public. Nous sommes face à un problème de culture, l’administration centrale n’a pas confiance. Malheureusement, notre Président Emmanuel Macron n’a que cette culture-là, il a donc conforté la position de l’administration centrale.

” Il faudrait un impôt métropolitain additionnel sur le revenu pour changer d’échelle de gouvernance. “

D’où vient ce manque de confiance ?

La décentralisation a pris un tournant à la fin des années 1970 avec une première série de lois adoptées sous Valéry Giscard d’Estaing. Il y a déjà eu le rapport Guichard sur les collectivités locales de 1976, la loi créant la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 1979, et la loi sur le libre vote des taux des impôts locaux par les assemblées locales de 1980. Et puis le projet de loi sur la responsabilité des collectivités locales, présenté en 1980 par les ministres Christian Bonnet et Marc Becam, qui n’a été examiné qu’au Sénat mais qui a préparé le terrain pour les lois Defferre de 1981, les premières lois de décentralisation. Enfin, la loi Chevènement de 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale a marqué une nouvelle étape dans la décentralisation : la loi a permis aux élus de collaborer sur des projets de territoire. Cette loi était très bien, elle était incitative. Chaque élu allait à son rythme. Finalement, tout ce travail s’est dégradé avec la suppression de certains impôts locaux. Le coup dur a été l’illusion d’un nouveau progrès qui n’en était pas un, avec la modification constitutionnelle de 2003 : « l’acte II » de la décentralisation. L’administration centrale a estimé que les collectivités, qui ont pris de l’autonomie, dépensaient trop et surtout sans contrôle. Du coup, la confiance s’est dégradée.

Que pensez-vous de l’organisation institutionnelle de l’Ile-de-France ? Le Président de la République a dit qu’il se saisirait de la question, finalement il ne l’a pas fait…

En réalité, les élus ne s’attendaient à rien, nous savions que le Président ne ferait rien à ce propos. Mais il faut savoir que le problème vient autant d’en haut que d’en bas : entre les élus locaux, personne n’est d’accord et sur chaque sujet, il y a quinze versions. Alors forcément, quand l’État consulte, il n’y comprend rien.

Et quelle est la version du maire de Sceaux ?

La version du maire de Sceaux, c’est une version métropolitaine avec la suppression des territoires. Le compromis fait dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015 a été une erreur : comment a-t-on pu penser que l’intercommunalité en petite couronne pouvait être la même chose qu’ailleurs ? Il n’y a que des villes. Or, une intercommunalité de villes, cela s’appelle un syndicat. Et les syndicats de communes ont été globalisés dans ce que l’on appelle des territoires. Pourquoi pas, mais des compétences politiques ont été transférées aux territoires, dont certaines du plan local d’urbanisme (PLU). Erreur abyssale ! Il est impossible d’avoir un PLU commun. Qu’il y ait un schéma de cohérence territoriale (SCOT), d’accord, mais alors c’est à l’échelle de la Métropole, voire de la Région que cela doit se faire. Mon schéma, c’est la Métropole, l’intercommunalité, et le détail de gestion laissé aux communes.

Quel est, selon vous, l’avenir institutionnel de l’Ile-de-France ? Quelle serait la bonne articulation Métropole du Grand Paris (MGP) / Région ?

C’est très compliqué, les deux institutions n’ont pas le même fonctionnement. Comme le dit Patrick Ollier, président de la MGP, la Métropole, c’est la «Métropole des maires». Il est disponible pour les maires. Mais la Région, ce n’est pas la Région des maires. Attention, je ne dis pas que la Région n’a pas de bonnes relations avec les maires, au contraire, mais la majorité des maires ne sont pas des élus régionaux. L’articulation est complexe, et en termes de légitimité, le maire reste un personnage central. C’est pourquoi j’ai proposé à Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, de créer un comité des maires au sein de la Région.

Et l’avenir de la commune ?

La commune a perdu des compétences au profit de l’intercommunalité, et certains maires se sentent dépossédés. Un renforcement de la commune est à souhaiter en Ile-de-France, quitte à ce que l’on encourage le développement des communes nouvelles.

En matière de fiscalité locale, quelle réforme préconisez-vous pour le prochain mandat présidentiel ?

Aujourd’hui, la fiscalité est très encadrée et chacun ne fait pas ce qu’il veut. Pour le foncier local, à l’échelle de la commune, la taxe idéale serait une taxe par bâti local, parce que c’est localisé, c’est sur le territoire. Le problème réside dans la fixation de la valeur, de la base d’imposition. L’idée a déjà été évoquée que cette base soit fixée par la collectivité elle-même puisqu’elle sait ce que représente le foncier, il ne bouge pas contrairement aux revenus. Cela pourrait être une réforme vraiment majeure, mais là encore, il y a la question de faire confiance aux maires. Une deuxième chose, au niveau de structures plus larges que les communes, comme les métropoles ou les grandes intercommunalités, je pense qu’il faut un impôt local additionnel sur le revenu, pourquoi pas métropolitain, pour changer d’échelle de gouvernance, tout en travaillant l’articulation avec la Région.

Un petit mot sur votre livre ?

Dans Maires de toutes les batailles, j’écris sur mon expérience personnelle et mes réflexions. Élu maire de Sceaux en 1977, il y a 44 ans, j’ai connu l’avant lois Defferre, avant même la loi qui a créé la DGF. Les communes qui faisaient des projets devaient aller chercher des subventions dans les différents ministères. C’était pareil pour les emprunts, il fallait un objet. Maintenant, tout est globalisé. La Caisse des Dépôts a globalisé ses prêts, c’est-à-dire qu’elle ne prête plus en fonction du projet mais en fonction de la capacité des communes à faire des projets. L’État a décidé de fusionner toutes les subventions pour faire une dotation globale de fonctionnement en autonomie. Et une fois que les subventions sont calculées puis attribuées, les maires en disposent librement, autant pour de l’investissement que du fonctionnement. C’était une révolution, c’était ce qu’on appelle l’autonomie financière.

” Nous sommes face à un problème de culture, l’administration centrale n’a pas confiance. “

Et est-ce qu’aujourd’hui encore les communes sont autonomes financièrement ?

Oui ! Mais aujourd’hui avec le plan France Relance, les maires doivent faire un dossier sur un objet précis, puis le présenter au préfet pour obtenir des subventions du plan de relance. En fait, c’est un retour en arrière ! Alors que si l’État avait augmenté les dotations, de 20 % par exemple, cela aurait réinjecté de l’argent dans l’économie et tout aurait été plus simple. L’évolution des dotations est un sujet abordé dans le livre parce que cela fait partie de l’évolution de la décentralisation. Il y a eu la rupture préparée dans les années 1980 et qui a abouti avec la loi Chevènement de 1999. Mais après, certains impôts ont été supprimés et remplacés par des dotations. Par exemple, la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) pour les régions, qui a été remplacée par une part de TVA nationale.

“ Mon schéma, c’est la Métropole, l’intercommunalité, et le détail de gestion laissé aux communes. ”

Comment expliquez-vous cette dégradation de la décentralisation ?

Il faut le dire, le lobby des élus locaux n’a pas été très bon. Il aurait fallu que nous vendions beaucoup mieux la décentralisation et ce qu’elle a pu apporter aux gens comme services. Mais nous ne l’avons jamais fait, et il n’y a jamais eu d’évaluation sérieuse de la décentralisation. Il y a bien eu une évaluation financière, mais pas en termes de qualité du service public parce que les élus et les associations d’élus ne se sont pas assez saisis du sujet. C’est par la voie législative que nous avons réussi à obtenir l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale.

Une mission sur l’attractivité des collectivités

La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, a confié le 21 septembre dernier à Philippe Laurent une mission sur l’attractivité de la fonction publique territoriale.

Avec l’appui de Mathilde Icard, directrice du centre de gestion du Nord, et de Corinne Desforges, inspectrice générale de l’administration, il devra analyser les besoins des collectivités et les souhaits des candidats à un concours ou à un recrutement.

La ministre souhaite privilégier une « approche large » de l’attractivité, en incluant les facteurs économiques, sociaux, culturels et salariaux, et « en prenant en compte la contrainte budgétaire pour les employeurs » comme les modes de recrutement, les parcours ou encore la localisation.

La mission devra notamment formuler des propositions « pour rendre la fonction publique territoriale plus attractive dans les années à venir », ainsi que faire de la prospective en prenant en compte l’évolution des besoins et des métiers à venir. Il est demandé à Philippe Laurent, Corinne Desforges et Mathilde Icard de dresser une cartographie de l’attractivité, avec des critères géographiques, par strate de collectivité, métiers et types de profil. « Une attention particulière devra être portée à l’accès des personnes en situation de handicap » à l’emploi territorial, souligne Amélie de Montchalin. Et ce « afin que les Français continuent de bénéficier de services publics de proximité de qualité ».

Leurs recommandations sont attendues pour le 10 décembre 2021.

Télécharger l’interview de Philippe Laurent, maire de Sceaux (92), premier vice-président de la Métropole du Grand Paris et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale