Interview de Jean-Philippe Dugoin-Clément, maire de Mennecy (91), premier vice-président de l’AMIF, est également vice-président de la région Ile-de-France en charge du Logement, de l’Aménagement durable du territoire et du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France – Environnement (SDRIF-E).

Si l’Ile-de- France tousse, c’est toute la France qui s’enrhume

Révision du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF)

L’Ile-de-France est la seule région à bénéficier d’un schéma directeur qui planifie l’aménagement de son territoire. La procédure de révision de ce document d’urbanisme a été lancée le 17 novembre dernier dans l’objectif de le réadapter à la croissance démographique permanente de l’Ile-de-France. Le principal défi qui attend la Région sera de savoir concilier région attractive et urgence climatique dans ce nouveau SDRIF qui deviendra un SDRIF-E afin de placer la préservation de l’environnement (E) au cœur du développement de l’Ile-de-France.

 
 

Le Schéma Directeur de la Région Ile-de- France (SDRIF) est un document d’urbanisme et d’aménagement du territoire qui définit la politique de développement pour la région. L’Ile-de-France est la seule région métropolitaine à bénéficier d’un tel document de planification à l’échelle régionale.

Le SDRIF s’inscrit dans la hiérarchie des normes d’urbanisme.

Il doit respecter différentes dispositions :

  • Les principes généraux des articles L. 110 et L. 121-1 du Code de l’urbanisme (principe d’équilibre, de mixité sociale et fonctionnelle, protection et valorisation de l’environnement) ;

  • Les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation des sols ;

  • Les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de projets d’intérêt général relevant de l’État et d’opérations d’intérêt national ;

  • Les schémas de services collectifs (enseignement supérieur et recherche, culture, santé, information et communication, énergie, espaces naturels et ruraux, sport) publiés par décret du 18 avril 2002 ;

  • Et être compatible avec les orientations et les mesures des chartes des Parcs naturels régionaux.

Si le Gouvernement venait à créer des Directives territoriales d’aménagement (DTA) pour l’Ile-de-France, le SDRIF devrait être rendu compatible avec ces documents.

Dans la pyramide des normes, le SDRIF s’impose également à certains documents :

  • Le plan de déplacements urbains d’Ile-de-France (PDU) ;
  • Le schéma régional des infrastructures et des transports (SRIT) devra respecter les orientations retenues par le SDRIF et le PDU ;
  • Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, en leur absence, les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou les documents d’urbanisme en tenant lieu (notamment les anciens plans d’occupation des sols), doivent être compatibles avec les dispositions du SDRIF ;
  • Les décisions d’agrément pour la construction et l’extension de locaux ou installations affectés à des activités industrielles, commerciales, professionnelles, techniques, d’enseignement ou de recherche.

Depuis le premier Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (SDAURP) en 1965, jusqu’à la réforme de 1995 le remplaçant par un SDRIF à horizon 2015, la planification du développement de l’Ile-de-France était une prérogative de l’État. Son élaboration a été transférée à la Région Ile-de-France qui, d’après l’article L. 141-1 du Code de l’urbanisme, « élabore en association avec l’État un schéma directeur portant sur l’ensemble de cette région ». Ce schéma a pour objectif de maîtriser la croissance urbaine et démographique et l’utilisation de l’espace tout en garantissant le rayonnement international de cette région. Il précise les moyens à mettre en œuvre pour corriger les disparités spatiales, sociales et économiques de la région, coordonner l’offre de déplacement et préserver les zones rurales et naturelles afin d’assurer les conditions d’un développement durable de la région.

Le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France détermine notamment la destination générale de différentes parties du territoire, les moyens de protection et de mise en valeur de l’environnement, la localisation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements. Il détermine également la localisation préférentielle des extensions urbaines, ainsi que des activités industrielles, artisanales, agricoles, forestières et touristiques.

L’initiative de l’élaboration du schéma directeur appartient soit à la Région, soit à l’État. La procédure de révision de ce document est ouverte par un décret en Conseil d’État, qui détermine l’objet de la révision. Le Conseil régional recueille les propositions des Conseils départementaux intéressés, du Conseil économique et social régional et des chambres consulaires. À l’issue de cette élaboration, le projet leur est soumis pour avis. Avant son adoption par le Conseil régional, le projet de schéma directeur, assorti des différents avis est soumis à enquête publique. Le schéma directeur est enfin approuvé par décret en Conseil d’État.

Le SDRIF de 1995 a été remplacé par le SDRIF de 2013 à horizon 2030. Et depuis le 17 novembre 2021, une procédure de révision du SDRIF de 2013 est enclenchée. La Région pré- voit un nouveau SDRIF-E à horizon 2040, un schéma directeur qui intègre à part entière les problématiques environnementales (E) dans la planification de la région.

Jean-Philippe Dugoin-Clément, maire de Mennecy (91), premier vice-président de l’AMIF, est également vice-président de la région Ile-de-France en charge du Logement, de l’Aménagement durable du territoire et du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France – Environnemental (SDRIF-E). Il décrypte pour nous les enjeux de la révision du SDRIF.

Pourquoi le SDRIF est-il en cours de révision ? Quelle est la méthode et les grandes étapes prévues pour cette révision ?
L’actuel SDRIF date de 2013. Il a fait l’objet d’une préparation et d’un travail sur les années 2010, 2011, 2012, avant d’être voté en 2013. L’établissement de ce SDRIF a donc en réalité plus de dix ans. C’est un document dont on considère qu’il ne répond plus aux exigences et aux problématiques qui sont celles de la région, notamment en matière d’urgence écologique. Le SDRIF actuel a été établi à une époque où les effets du dérèglement climatique n’avaient pas l’importance qu’ils ont aujourd’hui. Le SDRIF poursuivait l’objectif d’un rééquilibrage Est-Ouest de notre région, ce qui, pour moi, est un mythe.

Le 17 novembre 2021, nous avons lancé la révision du SDRIF pour en coétablir un nouveau que nous souhaitons environnemental. Une révision de SDRIF, c’est la création ex nihilo d’un nouveau document.

« La prise en compte de l’environnement dans les choix d’aménagement, c’est une garantie de conserver l’attractivité de l’Ile-de-France »

Le Conseil régional a délibéré le 16 février 2022 afin de demander à la Commission nationale du débat public (CNDP) de nommer un ou plusieurs garants du débat public. Nous allons entamer une année de concertation avec différents échelons : les personnes publiques associées (PPA) qui sont en cours de saisine pour faire part de leurs avis, une conférence des territoires, et les lycées franciliens seront aussi consultés à l’automne. Des modalités de concertation par internet seront mises en place dès la fin du mois de mars, et nous allons aussi mener tout un travail au travers de la Biennale, qui va être reportée. Enfin, nous aurons des réunions décentralisées dans tous les départements pour porter ces éléments de concertation. Nous allons donc consacrer une année à la concertation préalable du SDRIF pour essayer de le coconstruire le plus possible avec et dans l’intérêt des territoires qui n’ont pas tous les mêmes attentes, les mêmes besoins, ni les mêmes priorités. Nous essayons au maximum de tenir compte des réalités locales car on n’aménage pas contre les territoires, contre les habitants ni contre les maires qui sont ni plus ni moins ceux qui ont reçu un mandat de la part de leurs habitants.

En 2023, l’État nous donnera acte, et ensuite, nous allons entrer dans la phase de l’enquête publique à l’automne 2023. L’enquête publique, c’est le SDRIF provisoire établi par la Région en intégrant le plus de points possibles du donné acte de l’État et de la concertation préalable. Au terme de l’enquête publique, la Région sera amenée, après avis du commissaire enquêteur, à délibérer entre avril à juin 2024 pour adopter le SDRIF définitif qui, par rapport au document mis en enquête publique, pourra être intégralement le même document, ou un document corrigé en fonction des préconisations retenues du commissaire enquêteur. La procédure est assez proche d’une révision de PLU pour des maires.

Cette révision de SDRIF conditionne les potentialités d’aménagement urbain de toutes les communes puisque les PLU comme les SCOT doivent être conformes à ce document.

Quel bilan pouvez-vous tirer de l’ancien SDRIF ?
Il y a beaucoup de leçons à tirer, surtout sur la méthodologie. Le SDRIF fonctionne notamment avec des pastilles qui ouvrent des droits d’aménagement au territoire, et dans les difficultés du document actuel, il n’y a pas forcément de fongibilité suffisante d’un territoire à l’autre. Il y a des territoires aujourd’hui qui ne souhaitent plus ou ne peuvent plus être aménagés, d’autres qui ont des problématiques qui étaient imprévisibles il y a douze ans et qui sont apparues depuis. Par ailleurs, les questions de mutualisation de fongibilité sur les phases de développement ouvertes sont très rigides. C’est l’une des principales difficultés de ce document, qui a permis à l’Ile-de-France de se développer, de fonctionner mais qui aujourd’hui doit évoluer et gagner en souplesse.

Y a-t-il déjà de grandes orientations portées par le Conseil régional qui guident la révision du SDRIF ?
Dans cette révision, nous poursuivons un objectif qui repose sur trois piliers :

  • Zéro artificialisation nette (ZAN) ;
  • Zéro émission nette (ZEN) afin de rendre notre région neutre d’un point de vue carbone, c’est-à-dire qui ne contribue pas au réchauffement climatique ;
  • Zéro déchet : c’est la région circulaire, la région plus autonome et moins dépendante de l’extérieur. L’Ile-de-France, c’est 19 % de la population française et 31 % du PIB français ; mais aussi c’est une région ultra dépendante : 80 % des matériaux consommés en Ile-de-France ne proviennent pas d’Ile-de-France.

“Nous allons consacrer une année à la concertation pour coconstruire le SDRIF avec et dans l’intérêt des territoires.”

Notre région doit rester attractive et dynamique, car le jour où la Région Ile-de-France tousse, c’est toute la France qui s’enrhume. On ne peut pas se permettre d’avoir une logique malthusienne sur une région qui est en croissance démographique permanente. L’Ile-de-France, c’est une augmentation de 50 000 habitants par an en taux moyen sur les dix dernières années. Et les estimations que l’on a selon l’effet Covid plus ou moins marqué sur les dix années à venir, c’est de 40 à 80 000 habitants de plus chaque année. Dans le même temps, Paris perd plus de 10 000 habitants par an, c’est-à-dire que la pression démographique sur les sept départements en dehors de Paris représente plus de 60 000 habitants. Chaque année, c’est l’équivalent d’une ville comme Évry-Courcouronnes (91) qui doit être reconstruite et réaménagée, où l’on doit créer des services publics, de l’emploi et de l’activité. Nous sommes donc dans une gageure extrêmement forte.

Nous souhaitons créer une région véritablement polycentrique, c’est-à-dire casser cet aménagement en étoile depuis Paris, qui correspond à une vision totalement jacobine de la France. Créer une région polycentrique, c’est créer des centralités beaucoup plus autonomes, qui puissent offrir des complétudes de parcours de vie. Aujourd’hui par exemple, on peut citer Saclay (91) ou encore le grand Meaux (77) à Roissy (95) comme polycentralités, mais pour avoir une entreprise qui s’installe à Saclay, cela veut dire qu’il faut des transports, du logement de tout type (social, privé, individuel ou collectif), des services publics, notamment scolaires et post-bac qui ne soient pas uniquement à Paris, etc. Nous souhaitons vraiment recréer des polycentralités qui disposent de leurs propres forces d’attraction dans une région où le surpoids de la capitale a gommé toute capacité d’attraction des grandes communes, des grands bassins de vie régionaux.

Pourriez-vous expliciter ces objectifs de ZAN, ZEN et zéro déchet et leurs enjeux ?
Quand on parle de la question du ZAN, c’est la question de la réduction de la consommation des terres. D’abord, il faut savoir que contrairement à ce qu’on imagine, la région Ile-de-France est plutôt vertueuse. Elle concentre 19 % de la population, 31 % du PIB et seulement 3 % des espaces artificialisés en France. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut s’en satisfaire. Le SDRIF de 2013 autorisait une consommation de terres naturelles annuelles de 1 300 hectares. C’était une sorte de droit de tirage à l’artificialisation de 1 300 hectares. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, on a quasiment di- visé ce chiffre par 3, on est autour de 550 hectares. Nous souhaitons diminuer encore pour arriver à l’objectif ZAN.

Cet objectif ZAN, quand on est dans une région qui perd de la population et qui est en décroissance économique, c’est facile. Mais dans notre région en croissance de population, c’est plus compliqué. Cela nécessite de se réinterroger sur un certain nombre de facteurs d’aménagement. Nous travaillons actuellement avec l’Institut Paris Region sur la réhabilitation des friches, qu’elles soient industrielles lourdement polluées ou agricoles. Nous travaillons également sur la question de l’immobilier de bureau dont une partie n’est pas forcément aujourd’hui occupée car plus forcément occupable, et pourrait, dans un certain nombre de cas, être transformé en logement. Nous allons nous poser la question de la transformation, du réaménagement, de la reconversion ou de la reconstruction de la ville sur certaines zones commerciales qui aujourd’hui surartificialisent pour une sous-utilisation concrète.

Et ensuite, nous devrons mener un travail d’acceptation de reconstruction de la ville sur la ville là où c’est possible, ce qui implique aussi de la densification. Parce que quand on a plus d’habitants qui vivent plus longtemps et moins nombreux par logement (c’est un tendanciel total sur 40 ans), il faut plus de logements.

Pour plus de logements, deux solutions s’offrent à nous : soit on le fait en étalement urbain, et ce n’est pas ce que nous souhaitons, soit on accepte de densifier davantage. La densification fait peur, parce qu’on ne la présente pas comme quelque chose de vertueux ou de désirable. Mais il faut savoir que, d’une part, Paris est la capitale européenne qui a la plus grande densité urbaine, et pourtant ce n’est pas forcément à Paris qu’on vit le plus mal en France. Et d’autre part, les quatre communes franciliennes qui ont la plus grande densité d’habitants au mètre carré sont Vincennes (94), Montrouge (92), Levallois (92) et Courbevoie (92). Ce ne sont pas les quatre communes où l’on vit le plus mal. Le problème n’est pas tant la quantité d’habitats, mais la typologie d’habitats, les questions de mixité d’usage, les questions de mixité sociale, d’activité et de niveau de services publics apportés. La densité, ce ne sont pas que des exemples ratés d’urbanisme des années 1960-1970.

Quelles sont les principaux défis auxquels la Région doit s’atteler pour pouvoir mener à bien ce projet de révision ?
Aujourd’hui, le principal défi est de réussir à concilier des impératifs environnementaux avec le fait de garder une attractivité de la Région. Au fond, le défi c’est de rester la métropole mondiale qui tire le pays (31 % du PIB). L’Ile-de-France, c’est plus de 12 millions d’habitants. L’Ile-de-France est la seule métropole mondiale en capacité de concurrencer le grand Londres, le grand Moscou, des métropoles asiatiques ou outre-Atlantique. Je crois profondément que la prise en compte de l’environnement dans les choix d’aménagement, c’est une garantie de conserver l’attractivité car dans les choix de grandes entreprises de venir s’installer, la qualité de vie compte. On n’amène pas ses salariés dans des lieux ultra pollués, ni dans des lieux frappés par des inondations trois fois par an parce qu’on n’arrive pas à maîtriser la gestion de l’eau et la gestion des flux. Les sources de nature à proximité, les espaces de biodiversité accessibles, comptent. La question de la qualité de vie et de la prise en compte des facteurs environnementaux constituent un des moyens de préserver l’Ile-de-France et la France.

Quelles sont les principales collectivités inclues dans la concertation ?
Toutes ! Elles seront toutes inclues, à des degrés divers. Nous avons une conférence des territoires où nous incluons toutes les grandes collectivités, notamment les intercommunalités (qui n’ont pas toutes des SCOT mais qui sont censées en avoir). Nous aurons des réunions dans chacun des départements, ces réunions seront naturellement ouvertes à toutes les communes. Certaines communes ont déjà commencé à faire acte de leurs propositions. Par nature, nous sommes sur une concertation ouverte à tous les Franciliens et à toutes les collectivités franciliennes. À chacun de s’en emparer.

En tant que premier vice-président de l’AMIF, que pourrait apporter l’AMIF à la concertation ?
L’AMIF fait partie, comme l’ensemble des associations d’élus, des structures que nous souhaitons intégrer à la conférence des territoires. Il y aura l’AMIF, les unions départementales, … L’objectif de cette conférence territoriale (250-300 membres de cette commission), c’est d’être un panel extrêmement large représentant les collectivités, les catégories socio-professionnelles permettant de travailler dans la durée pendant les deux années sur l’établissement de ce SDRIF. Pour nous, l’AMIF a une voix prépondérante et importante parce que c’est aussi une voix des communes et qu’encore une fois, un document comme le SDRIF ne peut pas être efficient s’il est fait contre les communes. J’insiste sur ce volet de coconstruction, et nous comptons énormément sur les associations d’élus pour être des partenaires de cette coconstruction.