Explosion des prix de l’énergie et projet de loi de finances pour 2023 – Rencontre avec Romain Colas et Sophie Merchat, élus référents de la commission Finances, Fiscalité.

Explosion des prix de l’énergie et projet de loi de finances pour 2023 – Rencontre avec Romain Colas et Sophie Merchat, élus référents de la commission Finances, Fiscalité

À l’occasion du projet de loi de finances pour 2023, les élus référents de la commission Finances, Fiscalité de l’AMIF, Romain Colas, maire de Boussy- Saint-Antoine (91) et Sophie Merchat, adjointe au maire d’Enghien-Les-Bains (95), ont créé au mois de septembre un groupe de travail dédié à l’étude du texte*.

 
 

 

 

 

C’est la première fois que l’AMIF crée un groupe de travail dédié à l’étude d’un texte législatif. Pourquoi sur le projet de loi de finances pour 2023 en particulier ?

Romain Colas : Nous sommes dans une année particulière à plusieurs égards. Il s’agit du premier projet de loi de finances (PLF) de la nouvelle législature, et ce PLF pour 2023 est d’autant plus important qu’il s’inscrit dans un contexte complexe pour les collectivités du fait de l’inflation et de la hausse des coûts de l’énergie. Par ailleurs, est adossé à ce PLF pour 2023 un projet de loi de programmation des finances publiques qui a vocation à tracer les perspectives budgétaires pour les collectivités sur la durée de la législature, et notamment la contribution des collectivités à l’effort de maîtrise de la dépense publique.

Sophie Merchat : En effet, les communes ressentent depuis plusieurs mois la forte augmentation des tarifs des fluides (carburant, gaz et électricité). Le PLF rectificatif pour 2022 a effectivement prévu une compensation, et nous voulions nous assurer, pour 2023, que les communes ne seraient pas laissées de côté. Par ailleurs, le financement du bloc communal, avec notamment la question de la dotation globale de fonctionnement (DGF), est également un sujet qui a conduit à la création de ce groupe de travail dédié au PLF pour 2023.

Comment se positionne l’AMIF pour entendre et remonter les besoins des territoires au Parlement ?

Sophie Merchat : L’AMIF a communiqué sur ce groupe de travail auprès de tous ses adhérents, soit 80 % des communes d’Ile-de-France. Beaucoup d’élus, de tous bords et de chaque territoire francilien, ont participé aux séances, notamment le président de l’Union des maires du Val-d’Oise, Daniel Fargeot, maire d’Andilly (95), ou encore la ville de Paris (75). Tous ont fait part de leurs inquiétudes et problématiques locales, afin de réfléchir ensemble à des actions.

Nous sommes dans un contexte de crise énergétique avec une explosion des tarifs de l’énergie. L’AMIF se saisit de ce sujet, avez- vous des éléments chiffrés à ce propos ?

Sophie Merchat : Nous avons abordé le sujet très récemment en commission finances de l’intercommunalité Plaine Vallée (95). Par exemple à Saint-Gratien (95), la facture énergétique de la ville augmente de 1 M €. Et sur ma commune à Enghien-les-Bains (95), notre facture d’électricité et gaz pour les équipements publics augmente de 700 000 €. Nous sommes dans une impasse car d’un côté, le Gouvernement enjoint les collectivités de ne pas signer des contrats à n’importe quel prix, mais d’un autre côté, les fournisseurs ont la possibilité de nous couper l’énergie si les contrats ne sont pas renouvelés.

Romain Colas : Sous réserve de l’efficacité des mesures que nous demandons, la facture de gaz de Boussy-Saint- Antoine (91) passerait, en fourchette basse, de 120 000 € à 480000€,soit une multiplication par 4 au minimum. Un très grand nombre de communes, dont la mienne, ne savent pas comment boucler leur budget de fonctionnement pour l’année prochaine. 

Le groupe de travail demande notamment l’instauration d’un bouclier tarifaire et l’éligibilité des dépenses énergétiques au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). En quoi ces solutions sont importantes ? 

Romain Colas : Sur décision du Gouvernement, l’État a plafonné les augmentations de prix de l’énergie à 15 % pour les particuliers. Dans ce contexte où de nombreuses communes éprouvent déjà de fortes difficultés à boucler leurs budgets, nous demandons que l’État vienne en aide aux communes pour garantir la continuité des services publics de proximité. Nous souhaitons ainsi bénéficier de ce même effort que pour les particuliers, dans la mesure où nous allons subir des hausses de l’ordre de 300 % à 600 %. 

Sophie Merchat : Et concernant l’éligibilité des dépenses énergétiques au FCTVA, nous demandons que l’État prenne sa part dans ce contexte d’augmentation des coûts : les budgets des communes sont en effet touchés de plein fouet par l’augmentation des tarifs de l’énergie, en raison des nombreux équipements et bâtiments publics qui doivent être chauffés (écoles, crèches, piscines, gymnases, centres communaux d’action sociale, bâtiments administratifs dans lesquels travaillent les agents territoriaux). C’est pourquoi le groupe de travail a proposé que les col- lectivités puissent récupérer la TVA perçue par l’État sur cette dépense. 

Vous évoquiez la question du financement du bloc communal. Qu’attendez-vous de la part du Parlement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 ? 

Sophie Merchat : Il y a plusieurs sujets. Il est notamment question de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dans le PLF pour 2023. Nous nous opposons fermement à cette suppression. Il s’agit d’un impôt local qui a un véritable ancrage sur le territoire : la CVAE crée un lien entre l’activité économique locale et la ressource fiscale. La supprimer revient à couper les entreprises des territoires sur lesquels elles sont implantées. C’est une déconnexion entre la réalité du territoire et ses recettes.

« Nous souhaitons que la dotation globale de fonctionnement (DGF) soit indexée sur l’inflation. » Romain Colas, élu référent Finances, Fiscalité de l’AMIF et maire de Boussy-Saint- Antoine (91).

Romain Colas : Par ailleurs, nous souhaitons que la dotation globale de fonctionnement (DGF) soit indexée sur l’inflation. En effet, la stabilité de la DGF est relative car pour beaucoup de communes d’Ile-de-France, elle diminue drastiquement. L’indexation sur l’inflation permettrait de maintenir le poids de la DGF dans les budgets locaux. L’enjeu de la DGF est essentiel car l’inflation touche les budgets des communes dans toutes leurs composantes : l’augmentation des coûts de l’énergie se traduit pour le chauffage des bâtiments publics ; l’augmentation des coûts des matières premières impacte les chantiers en cours ; ou encore l’augmentation du prix des denrées alimentaires qui touche la restauration scolaire. L’ensemble de ces dépenses supplémentaires impacte directement le taux d’épargne brute qui est indispensable pour que les communes puissent investir dans des chantiers urgents tels que, par exemple, l’adaptation de nos villes au changement climatique. C’est pourquoi le groupe de travail de l’AMIF demande que l’enveloppe globale de la DGF prenne en compte l’inflation en indexant son montant à la hauteur de l’inflation prévisionnelle en 2023. 

Un projet de loi de programmation sur les finances locales (2023-2027) est en cours d’élaboration. Quelles sont vos attentes sur ce texte ? 

Romain Colas : Nous attendons de ce texte qu’il soit intelligent. Je m’explique : nous sommes dans une période d’inflation galopante qui accroît nos dépenses de fonctionnement, nous attendons que cette loi prenne en compte l’inflation. Et par ailleurs, nous souhaitons que l’État prenne acte du fait qu’il « oblige » le bloc communal à certaines dépenses du fait de ses propres décisions ou orientations. Je cite pour exemple le sujet de la sécurité : au regard des moyens qui sont ceux de la police nationale et de la gendarmerie, les communes sont obligées de recruter des policiers municipaux pour assurer des politiques de tranquillité et de sécurité publique. Ce sont des missions autrefois effectuées par la police nationale qui ne le sont plus pour des raisons de moyens et de priorité. C’est implicite, mais, sauf à renoncer à ce rôle de sécurité, nous sommes obligés de nous engager dans la sécurité.

Sophie Merchat : De plus, nous avons besoin de visibilité sur la durée du mandat. Cette loi de programmation est obligatoire. Les collectivités s’en sont passées depuis deux ans du fait de la pandémie, mais c’est un vrai sujet car elles ont besoin de pour pouvoir se projeter sur cinq ans : nous ne faisons pas nos budgets d’une année à l’autre, sans avoir de visibilité sur les orientations de l’État.

Enfin, quelles sont les perspectives de la commission Finances, Fiscalité dont vous êtes élus référents ? Sur quels sujets travaillez-vous actuellement ?

Sophie Merchat : Nous travaillons notamment sur le sujet de l’actualisation des paramètres collectifs d’évaluation des valeurs locatives des locaux professionnels. Cette actualisation à marche forcée aura des impacts délétères sur les services et commerces de proximité et nous semble contrevenir aux efforts de redynamisation et de revitalisation des centres villes entrepris conjointement par l’État et les collectivités locales dans des dispositifs tels que « Action Cœur de Ville ». Cette méthode d’actualiser dès l’an prochain les valeurs locatives ne nous semble pas pertinente, et nous souhaitons ainsi le report de cette réforme d’un an, afin de l’appuyer sur une collecte des données renforcée et partagée avec les collectivités locales concernées, pour mieux en anticiper les effets.

« Nous ne faisons pas nos budgets d’une année à l’autre, sans avoir de visibilité sur les orientations de l’État. » Sophie Merchat, élue référente Finances, Fiscalité de l’AMIF et adjointe au maire d’Enghien-les- Bains (95).

Romain Colas : Il reste autre un sujet de fond, qui ne concerne pas que l’Ile-de-France, c’est la réforme de la taxe d’habitation. Même maîtrisées, les dépenses locales augmentent (en raison de l’inflation, de nouveaux besoins, ou encore de l’augmentation de la population). Or cette réforme a pour conséquence que les seuls assujettis à la taxe foncière, c’est-à-dire les propriétaires exclusivement, supportent, dans les prochaines années, la dynamique de la dépense locale. Il n’est pas acceptable qu’une part seu- lement des habitantes et des habitants contribue à cette dynamique. Il faudra une réforme globale du système de financement du bloc local.

*NB. Cette interview a été réalisée avant le passage en première lecture à l’Assemblée nationale, le travail législatif n’était alors pas encore achevé.