Radicalisation islamiste : montrés du doigt, les Maires ripostent

@La Gazette des Communes

La multiplication d’attentats terroristes sur le sol européen, encore dernièrement en Belgique, pose des questions sur l’efficacité de la prévention de la radicalisation. Familles de victimes, travailleurs sociaux et anciens responsables politiques accusent certains maires de se livrer à un clientélisme communautaire dangereux. S’ils admettent des erreurs, les élus locaux pointent en retour de nombreuses failles de l’Etat central.

Molenbeek : ce nom est désormais associé à une longue et terrifiante série d’attentats terroristes. Plusieurs assassins djihadistes sont nés, ont grandi, ou ont résidé dans cette commune bruxelloise qui compte près de 100.000 habitants. Clientélisme, communautarisme, laxisme : les pratiques du précédent bourgmestre sont pointées du doigt. Les élus locaux français doivent-ils, à leur tour, s’inquiéter d’un prochain procès en place publique sur leurs éventuelles responsabilités dans la montée de la radicalisation islamiste ?

Si aucun parallèle aussi tragique ne peut évidemment être établi avec Sevran (Seine-Saint-Denis), les critiques s’accumulent contre le maire de cette banlieue française. Une famille dont le fils djihadiste est décédé au combat a menacé début mars, dans une lettre ouverte, de déposer plainte contre Stéphane Gatignon (UDE, ex-EELV) pour « non-assistance à personne en danger » et « non-assistance à commune en danger ».

Ses détracteurs lui reprochent aussi de ne pas avoir demandé la fermeture administrative d’une mosquée, son peu d’entrain à faire la publicité du numéro vert du gouvernement, l’insuffisance de travail socio-éducatif de terrain, l’absence de continuité de service public le vendredi après-midi ou encore l’abandon de ses pouvoirs de police lors de la distribution de tracts propagandistes…

Dans un communiqué, l’élu s’est défendu, jeudi 24 mars, de tout laxisme : il dit s’être heurté aux errements du renseignement intérieur après avoir prévenu les services préfectoraux.

Faibles pouvoirs

Bruno Beschizza (LR) pourrait-il être poursuivi après avoir prêté gracieusement, fin 2015, le gymnase municipal d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) à une association salafiste organisant une conférence autour de prédicateurs radicaux, comme l’a révélé Marianne ? Faut-il reprocher à Stéphane de Paoli (UDI) de n’avoir pas empêché la tenue du second congrès du Collectif des associations pour la démocratie et les libertés, réputé proche de plusieurs leaders des Frères musulmans, le 23 janvier dernier à Bobigny (Seine-Saint-Denis), quelques mois seulement après que sa ville a servi de base logistique à l’un des commandos des attentats du 13 novembre ?

« Soyons sérieux, avant d’accuser à tort et à travers : les réseaux islamistes – qui agissent de façon rampante – sont bien plus puissants que les maires. Qu’il s’agisse d’éducation, de politique de la ville ou de sécurité, leurs compétences ne leur permettent de toute façon d’agir qu’en accompagnement de l’Etat », lance Stéphane Beaudet, maire (LR) de Courcouronnes (Essonne) et président de l’association des maires d’Ile-de-France (AMIF).

C’est évidemment vers l’Etat que se tournent maintenant les élus, de tous bords politiques.
Faute de « pouvoir fermer une mosquée qui se radicalise ni de s’opposer aux écoles coraniques, le député-maire socialistes de Sarcelles (Val-d’Oise), François Pupponi, a fait la tournée des médias, jeudi 24 mars. Celui qui est aussi président de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) en a profité pour interpeller le gouvernement, lui demandant de créer au plus vite un « mode d’emploi » à destination des maires et de développer une « task force » à destination des territoires les plus sensibles.

Dans un rapport remis au gouvernement fin janvier, l’association d’élus Ville & Banlieue déplorait déjà l’impact des restrictions budgétaires nationales sur le retrait voire la disparition d’un certain nombre de services publics et d’associations de quartier.

Echange d’informations inopérant

Le manque de dialogue entre les services régaliens de l’Etat et les collectivités territoriales empêcherait également les maires de se saisir pleinement de leurs pouvoirs de police : « Même s’il y a du mieux depuis quelques mois, le mutisme de certains procureurs et commissaires vis-à-vis des maires est désolant. La communication de la juste information nécessaire nous permettrait pourtant de rompre une convention mettant à disposition une salle communale à telle ou telle association aux visées politico-communautaristes », indique le président de Ville & Banlieue, Marc Vuillemot, lui-même maire (PS) de la Seyne-sur-Mer (Var). Un propos semblable à celui tenu par Paul Quin, adjoint au maire (UDI) de Mulhouse et vice-président du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU).

Faut-il pour autant dédouaner les exécutifs locaux de toute responsabilité ? Selon certains, les élus de la République française peuvent et doivent aider les services centraux à la hauteur des moyens dont ils disposent, ne serait-ce que dans la façon de gérer leurs villes. Surtout en luttant contre la « communautarisation » de leurs territoires.

Ancien directeur de cabinet du maire et adjoint (PS) en charge de la tranquillité publique à la mairie de Cergy (Val-d’Oise), Pierre Bouchacourt sonne la charge : « Par incapacité à penser une action municipale inclusive, paresse ou bien parce qu’ils étaient prêts à tous les compromis pour se faire élire, une partie des responsables politiques locaux n’a pas su résister à la multiplication des demandes particulières», raconte celui qui figure parmi les premiers signataires du manifeste du Printemps républicain. A l’entendre, ils n’auraient alors pas seulement oublié de faire la pédagogie de la laïcité et de rappeler que les lois de la République s’imposent sur les préceptes religieux. Il leur reproche avant tout de n’avoir pas su dire non aux responsables associatifs prosélytes quémandant subventions, embauches dans la fonction publique ou petits services. La promesse, faite par ces derniers, d’orienter des paquets de voix vers leurs candidatures aurait été trop alléchante.

Électoralisme et accommodements

« L’application des principes de laïcité ne semble pas la même dans toutes les communes, effectivement, tout comme le clientélisme communautariste ou le fait de concentrer des logements sociaux à des fins électorales existent dans certaines communes de banlieues. Mais nous renvoyer la responsabilité demeure un peu facile » ajoute, amer, Stéphane Beaudet, par ailleurs conseiller régional (LR) d’Ile-de-France. C’est peu dire que l’Etat n’a pas facilité des maires la tâche : la gestion chaotique du regroupement familial par les services centraux à la fin des années 1970 a considérablement accentué la fragmentation socio-ethnique des quartiers populaires.

« Je ne nie pas qu’un certain nombre de maires de banlieues de grandes villes aient pu fermer les yeux sur les activités cultuelles d’associations officiellement culturelles. Mais ils n’avaient alors pas la moindre idée que ces accommodements à la loi de 1905 soient susceptibles de nourrir le terreau du fondamentalisme , les défend Marc Vuillemot, qui envoie une message très strict : « Le contexte actuel doit permettre aux élus qui y auraient eu recours de mettre fin aux pratiques clientélistes, qui sont honnêtement plus encombrantes qu’autre chose. Outre qu’elles ne soient pas si rentables lorsqu’on fait les comptes bureau de vote par bureau de vote, il est compliqué de se sentir redevables d’emplois publics ou de logements sociaux à l’heure de la baisse des dotations et des réformes des procédures d’attribution. »

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