« Le logement ne peut pas être traité comme une priorité à part entière » Stéphane Beaudet, Président de l’AMIF

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Stéphane Beaudet, Maire UMP de Courcouronnes et Président de l’Association des Maires d’Ile-de-France (AMIF) fait contre mauvaise fortune bon cœur : le Grand paris qu’il souhaite n’est pas celui qui se dessine. Il évoque ici les difficultés auxquelles il se confronte et dénonce les incohérences du système.

Vous avez récemment fait part de vos doutes sur le Grand Paris tel qu’il se dessine…
Je suis en désaccord avec la vision actuelle du Grand Paris, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que si Nicolas Sarkozy, à l’origine de l’idée, a voulu créer le Grand Paris, c’était pour faire de la Capitale une ville monde, compétitive par rapport aux autres villes mondes. Or, la réalité est, qu’au 1er janvier prochain, nous aurons juste créé une structure supplémentaire, gouvernée par 300 élus et dont on ne sait pas à quoi elle va servir. Je n’ai pas le sentiment,– et je ne suis pas le seul –, d’avoir créé une métropole forte. L’autre raison est que le Grand Paris sera limité à l’Ile-de-France et que je considère que nous aurions dû l’étendre jusqu’au Havre. Nous n’avons pas porté la bonne ambition sur la bonne échelle territoriale.

Les problèmes de gouvernance, déjà très forts, l’auraient été encore davantage avec un périmètre élargi…
Il n’était peut être pas nécessaire de créer une structure supplémentaire. Peut-être aurait-il plutôt fallu discuter des compétences des régions, des départements et des villes. Là est l’enjeu. Si le sujet de la métropole et de la ville monde est qu’elle soit compétitive, il n’était certainement pas utile de créer des entités supplémentaires. On crée la métropole du Grand Paris sans avoir corrélé les compétences de la région avec celles du territoire dans lequel elle s’inscrit. C’est le cas, par exemple en matière de développement économique et de logement, où les compétences relèvent de plusieurs structures. Ce n’est pas rationnel.

S’agissant du logement, vous considérez que cette question n’était pas la plus prioritaire
Je ne dis pas que le logement n’est pas une priorité, mais il ne peut être traité comme une priorité à part entière ! Il s’agit d’une des parties de l’aménagement du territoire. On oublie que l’’aménagement du territoire est un triptyque : développement économique, transports et logement. Chaque fois que l’on mettra le logement en première position, sans se poser la question de l’emploi des habitants, du transport, on se trompera. Il faut réfléchir autrement : créer des bassins d’habitat, imaginer un polycentrisme.

De plus, si les maires ne construisent pas aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils ne le veulent pas. La réalité est que, lorsque l’Etat baisse le montant des dotations, aménager des Zac pour construire du logement devient difficile. Un exemple : à Courcouronnes, j’ai lancé deux Zac ; toutes deux sont déficitaires de 20 millions d’euros. Ceci pour une raison simple : le schéma directeur de la région Ile-de-France – et c’est légitime – vise à limiter l’étalement urbain et densifier la ville. Cela signifie reconstruire des sites déjà construits, et donc du foncier plus cher, à déconstruire et/ou dépolluer. Cela coûte une fortune alors que, dans le même temps, on baisse les dotations. L’équilibre n’existe plus et lorsque l’on traite toutes les collectivités avec la même formule mathématique, l’impact n’est pas le même pour toutes. Dans ma commune, la baisse de la dotation générale de fonctionnement est de 400 000 euros. Mais, au total, avec les effets cumulatifs (baisse des dotations de collectivités), cette baisse est de un million d’euros. La baisse sur le budget 2015 est donc en réalité plus de deux fois supérieure à la baisse de la dotation générale de fonctionnement. Il y a un effet accélérateur dont on ne parle pas.

Des aides aux maires bâtisseurs ont pourtant été instaurées, justement pour encourager la création d’activités, d’infrastructures, de transports…
Les règles d’attribution des ces aides sont ridicules. On a instauré un montant de salaire médian au plancher, ce qui fait que seules les villes extrêmement pauvres pourront construire alors que ce n’est pas par elles que nous aurons la mixité sociale. Ensuite, le texte impose entre 5 et 10 % de population supplémentaire par an, avec un effet de rétroactivité sur plusieurs années. Ceci est quasiment impossible à tenir. Une ville comme Courcouronnes, quatrième quartier le plus pauvre de l’Essonne, qui compte 60 % de logements sociaux, n’est pas éligible à ce dispositif, notamment parce que, depuis cinq ans, je ne construis pas suffisamment de logements. Cela malgré « l’autorisation » donnée par mes administrés de créer une Zac de 850 logements à la place de l’hôpital de Courcouronnes. Donc, si je ne les ai pas créés, ce n’est pas parce que je ne le voulais pas ou que les habitants ne le voulaient pas, c’est parce que l’Etat m’a, pour l’instant, empêché d’acquérir le foncier de l’ancien hôpital, en négociant au plus haut ce terrain à 13,5 millions d’euros, quand j’en proposais, dès le début, 4 millions d’euros. Finalement, dix ans après le début des négociations, nous allons enfin signer à 4 millions d’euros. On nous demande de construire mais on ne nous donne aucune contrepartie. Aujourd’hui, je n’ai plus les moyens de construire des crèches, des écoles, et pas la certitude de voir les transports arriver. Je suis un maire constructeur : je lance deux Zac mais ne sais pas comment je vais les financer. Je ne peux critiquer la volonté de faire de l’Etat, mais je ne suis pas certain que l’on mette les moyens.

La création d’une Opération d’Intérêt National (OIN) multi-sites peut-elle faciliter les choses ?
Comment cela va-t-il m’aider à financer mes projets ? Comment cela va-t-il aider les élus à porter leurs déficits structurels ? De plus, l’effet d’annonce de cette OIN, qui promet des milliers d’habitants supplémentaires, est catastrophique. Il conduit juste à terroriser certains riverains. Or, dans les faits, lorsque l’on regarde les PLH de nombreuses communes, ces logements sont d’ores et déjà entérinés et votés. Agglomération par agglomération, ils ont été programmés et les populations les ont acceptés. L’OIN est un levier de développement considérable. Bien encadré, il peut être une chance, mais je sais aussi, par expérience, qu’il peut être une catastrophe. Il faut rediscuter des règles, engager l’OIN par le prisme des trois éléments clés : emploi, transports et logement…

Propos recueillis par Catherine Bocquet et Alexis Mamou

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