Dotations : le recensement démographique à nouveau critiqué

Dotations : le recensement démographique à nouveau critiqué

Les chiffres de populations légales de l’Insee font références dans plus de 350 dispositions législatives ou réglementaires. Ils sont notamment utilisés dans le calcul de diverses dotations dont la plus connue, la dotation globale de financement (DGF), mais aussi pour fixer le nombre de conseillers à élire, le montant de leurs indemnités… Le recensement permet également d’avoir des indicateurs précieux sur ses administrés. Il est donc capital de tout mettre en œuvre pour que ces chiffres soient le plus proche possible de la réalité.

Néanmoins, la méthode retenue fait des mécontents. Ainsi, après l’Association des maires de France au printemps dernier (lire encadré), c’est cette fois l’Association des maires d’Ile-de-France (Amif) qui a adressé un courrier à l’Insee, le 20 octobre dernier, pour demander des éclaircissements. « En passant d’un système de recensement général très exhaustif à la méthode du sondage, l’estimation de la population est non seulement beaucoup moins fiable, mais aussi trop souvent sous-évaluée », regrette Stéphane Beaudet, le maire (LR) de Courcouronnes (14 000 hab., Essonne) et président de l’Amif, qui évoque « d’importantes erreurs d’appréciation de la taille des villes et, par conséquent, de leurs besoins et de leurs financements. »
L’occasion de revenir en détails sur la méthode de calcul retenue par l’Insee.

Un décalage de trois ans
Pour les communes de moins de 10 000 habitants, le recensement a lieu tous les 5 ans sur toute la population alors que pour les plus de 10 000 habitants, l’Insee procède chaque année à une enquête qui porte sur un échantillon de logements, représentant environ 8% de la population, tiré au hasard sur la base du répertoire d’immeubles localisés (RIL).

Le principal sujet d’incompréhension porte sur le fait que les chiffres de la population publiés fin 2014, et applicables au 1er janvier 2015, sont référencés au 1er janvier 2012.
« Ce décalage de trois ans n’est pas toujours bien compris par les maires, notamment de moins de 10 000 habitants, lorsque le recensement vient juste d’être effectué dans leur commune. Mais, pour une égalité de traitement, toutes les collectivités sont calées sur la même année », explique Caroline Escapa, cheffe du département de la démographie à l’Insee.
Ainsi, les maires s’interrogent souvent parce que le nombre de permis de construire délivrés a progressé, et pas leur population. Mais, il y a ce décalage de trois ans à prendre en compte. « Ce n’est pas parce que les permis sont déposés que les logements sont habités immédiatement. Par ailleurs, la taille moyenne des ménages ne cesse de baisser. Dans un programme de rénovation urbaine, les nouveaux habitants n’ont pas forcément les mêmes profils que ceux qui habitaient là avant les démolitions », précise Caroline Escapa.

Des comparaisons parfois erronées
Pour démontrer que les chiffres de l’Insee sous-estiment la population de leur ville, les maires prennent comme référence des données telles que l’évolution du nombre de foyers payant la taxe d’habitation, d’enfants scolarisés, des fichiers EDF ou du service des eaux, le fichier des élections, etc.
« Cependant, ces autres sources n’ont pas la même finalité et ne comptent pas les mêmes choses. Ainsi, les enfants scolarisés ne sont pas toujours résidents dans la commune, on peut voter dans une commune sans qu’elle soit sa résidence permanente… », remarque Caroline Escapa.

Mieux travailler son RIL
Dans les grandes communes, l’Insee élabore avec l’aide de la collectivité, le répertoire d’immeubles localisés, pour tirer chaque année son échantillon et ensuite calculer la population légale. Le maire doit confier la responsabilité du RIL à un agent de la commune, nommé par arrêté municipal. Le choix de ce responsable est important car le RIL doit être remis à jour régulièrement si on veut que le recensement soit de bonne qualité. En effet, si un immeuble n’a plus d’habitants parce qu’il va être détruit mais n’a pas été retiré du RIL, il peut être tiré au sort pour l’enquête et impacter négativement les chiffres. Même problème si de nouvelles résidences où les habitants viennent d’aménager ne sont pas inscrites au RIL…

Cette mise à jour constitue un travail exigeant et chronophage. « De plus en plus de communes s’investissent dans ce travail même si encore environ 10 % d’entre elles ne mettent pas à jour régulièrement leur RIL », regrette Caroline Escapa. L’Insee soumet le fichier à la collectivité qui doit signaler si, par exemple, des permis de construire ont été oubliés. En parallèle, beaucoup de communes ont mis en place des projets de normalisation de voies et d’adresses pour améliorer la qualité du RIL et de la collecte.

Mettre à jour au fil de l’eau
L’Insee a lancé un programme de modernisation pour améliorer la qualité du recensement en améliorant notamment la construction du RIL. « Jusqu’à présent, nous étions en contact trois fois par an avec les communes pour échanger sur le RIL. Nous mettons en place RORCAL, un outil qui va permettre de partager la base de données du RIL avec les communes. Nous allons travailler en mode collaboratif : les communes pourront intervenir en continu, et enregistrer au fil de l’eau les créations de permis de construire, de destruction… Nous menons actuellement des opérations pilotes avec quatre communes(1). Nous prévoyons un déploiement généralisé pour fin 2016, début 2017», souligne Caroline Escapa.

Optimiser la collecte
Ce sont les collectivités qui sont responsables du recrutement et de la formation des agents recenseurs. Le coordonateur municipal, nommé par arrêté municipal avant fin mai, doit être très vigilant et vérifier que les agents font bien le travail de repérage en amont pour vérifier qu’il n’y a pas d’erreur dans les adresses données, que l’on connaît bien le nombre de logements par adresse, et, pouvoir, en cas de doute, contacter l’Insee. Pendant la campagne, le coordonnateur doit également vérifier régulièrement l’état d’avancement de chaque agent.

Afin que la collectivité puisse suivre de façon plus efficace l’avancement de la collecte, l’Insee a déployé en 2015 l’application OMER. « Elle donne en continu les taux d’avancement de la collecte agent recenseur par agent recenseur, et non plus uniquement par zone. 8130 communes ont utilisé cet outil cette année. C’est important de bien suivre l’avancement de la collecte dès son démarrage car une collecte qui démarre mal est ensuite difficile à rattraper», relève Caroline Escapa.

Promouvoir l’utilisation d’Internet
Après plusieurs années de tests, cette année tous les ménages interrogés avaient la possibilité de remplir le formulaire en ligne. Cela a bien fonctionné puisque un tiers des personnes recensées, soit 3,4 millions, a répondu par ce biais. « Dans quelques communes, nous avons jusqu’à 100 % de réponses par le canal Internet. Dans les villes qui avaient déjà testé le dispositif en 2013 ou en 2014, on note une progression du nombre de répondant par le web. A Nantes, par exemple, 40% des personnes avaient répondu via Internet en 2014, les deux tiers cette année », se félicite Caroline Escapa. Les taux de réponses par Internet sont très variables selon la commune et les agents recenseurs. Certains agents n’ont pas informé les ménages de cette possibilité, tandis que d’autres, très motivés, ont beaucoup promu ce nouveau canal de réponse. De même, les villes ayant beaucoup communiqué sur cette possibilité ont fait de bons scores. En ville notamment, il est de plus en plus difficile de rentrer en contact avec la population. Proposer aux citoyens de répondre en ligne peut faciliter la collecte. Cela permet également à la collectivité de manipuler beaucoup moins de liasses de documents et évite à l’agent recenseur de nombreux allers-retours, puisqu’il est prévenu par e-mail lorsqu’un des ménages dont il est responsable a répondu par ce biais.

L’AMF envoie un courrier de mécontentement
François Baroin, président de l’Association des Maires de France, a envoyé début avril 2015 un courrier à la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population où il stipule que plusieurs communes, principalement d’Ile-de-France, lui ont « fait part de leur mécontentement quant aux nouveaux chiffres de population légale. Les maires sont unanimes pour reconnaître une hausse plus importante de leur population que constatée lors des enquêtes de recensement. »

Nous avons contacté à plusieurs reprises l’AMF, pour connaître le nombre exact de collectivités concernées, et savoir sur combien d’habitants portaient les litiges. Nous n’avons pas obtenu de réponses. L’Insee, pour sa part, estime que les contestations des collectivités sont très peu nombreuses. « L’année dernière, sur 36600 communes, environ 200 maires nous ont sollicités, le plus souvent, pour avoir des explications sur la méthode utilisée. Les deux tiers de ces collectivités sont de petites communes et ne sont pas situées en Ile-de-France. In fine, une dizaine de maires a formé des recours depuis la mise en place de cette méthode de recensement. Quelques-uns sont allés jusqu’au Conseil d’État. A ce jour, toutes les demandes ont été déboutées », précise Caroline Escapa, cheffe du département de la démographie à l’Insee.

Ce courrier de l’AMF a été envoyé alors qu’un projet de loi a été déposé au Sénat, en janvier 2015, pour proposer de rénover le recensement. Il prévoit notamment que les collectivités de plus de 10 000 habitants puissent demander à réaliser un recensement exhaustif à leur frais.

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