Retour sur le colloque « Les finances publiques »

COLLOQUE –  » REFONTE DE LA FISCALITÉ LOCALE : SOLIDARITÉ OU AUTONOMIE FINANCIÈRE POUR LES COMMUNES ? « 

Le lundi 11 juin 2018, au coeur de la Mairie du Ve arrondissement de Paris, l’Association des Maires d’Ile-de-France (AMIF) a organisé un colloque sur les finances publiques, dans le cadre de la refonte de la fiscalité locale initiée par le Président de la République et le Gouvernement. La première partie de la journée était consacrée à la refonte de la fiscalité locale et ses implications pour le bloc communal, et la seconde partie à la gestion du budget communal pour conserver une part d’autonomie.

PREMIÈRE TABLE RONDE : La refonte de la fiscalité locale

Lors de la première table ronde, Alain Richard, Ancien Ministre et Sénateur du Val-d’Oise, a présenté les préconisations de la mission  » Richard-Bur « , dont il a remis le rapport au Gouvernement au début du mois de mai. Revenant sur le choix politique d’Emmanuel Macron de supprimer par dégrèvement la taxe d’habitation (TH) pour 80% des ménages d’ici 2020, l’Ancien Ministre a estimé venu le temps de rationnaliser l’ensemble de la fiscalité locale, qui représente aujourd’hui 138 milliards d’euros de produit, soit l’équivalent du produit de l’impôt sur le revenu (IR) et de l’impôt sur les sociétés (IS) additionnés.
Selon lui, un principe d’équité et de justice sociale justifie la suppression de la TH, qu’il voit comme une forme de double imposition au niveau local. Pour compenser la perte de la taxe d’habitation, deux préconisations ont ainsi été formulées : transférer au bloc communal une fraction d’impôt national, à savoir la CSG, ou transférer la taxe foncière des départements, la seconde option étant a priori privilégiée par le Gouvernement.
En outre, Alain Richard a insisté sur la nécessité d’initier encore deux réformes.
La première consiste à réviser les bases locatives des locaux d’habitation, le principal impôt local étant assis sur une valeur ancienne des propriétés, alors que cette valeur a précisément augmenté. De ce fait, il existe des écarts trop importants selon les endroits, faisant peser un lourd prélèvement sur le capital.
La seconde réforme serait d’agit sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qu’il juge irréguliers et inadaptés à la réalité des départements.

Enfin, faisant implicitement référence aux parlementaires désireux d’accoler l’autonomie fiscale à l’autonomie financière dans la Constitution, Alain Richard a estimé qu’une redéfinition de l’autonomie financière ne ferait qu’accroître les inégalités territoriales. Or, à ses yeux, on ne peut se satisfaire des inégalités de ressoources existantes entre les collectivités, ni engager une réforme fiscale sans prendre en compte les mécanismes de péréquation.

Abondant en son sens, le député Jean-René Cazeneuve, Président de la Délégation aux Collectivités territoriales et à la Décentralisation de l’Assemblée nationale, a admis que les collectivités ont beaucoup participé aux efforts de réduction du déficit public, estimé à 67 milliards d’euros l’an dernier. Après avoir traversé une importante baisse des dotations (-10 milliards d’euros) et un gel des investissements les années passées (-8%), les collectivités seraient aujourd’hui dans une conjonction favorable. Néanmoins, il a prôné la nécessité pour les communes de poursuivre leurs efforts de réduction des frais de fonctionnement pour assurer leurs ressources. Pour les y aider, le principe retenu par le Gouvernement pour la loi de finances 2018 aurait été de stabiliser les dotations et de privilégier une contractualisation entre l’État et les collectivités, pour limiter et non baisser les dépenses de fonctionnement.

Luc Alain Vervisch, Directeur des Études de La Banque Postale, a enfin dressé un panorama complet des tendances en matière de finances publiques locales pour l’année 2018, sur la base de la note de conjoncture élaborée par La Banque Postale (cf. site de l’AMIF). Ces données permettent de constater que si la baisse des dotations de l’État s’est globalement arrêtée, la quasi totalité des communes franciliennes souffre d’une légère baisse de leur dotation gloable de fonctionnement (DGF), liée non pas à l’inefficacité relative des dispositifs de péréquation, mais à un système d’écrêtement.
En outre, les recettes de fonctionnement évoluent favorablement en 2018 et devraient permettre aux collectivités de respecter la limite de 1,2% de dépenses de fonctionnement sur l’année (+0,9% de croissance envisagés).
Selon Luc Alain Vervisch, la maîtrise des dépenses de fonctionnement relèveraient d’ailleurs davantage d’une conséquence que d’une volonté première de réduire le déficit public. Cette dernière passerait en effet par une reconstruction de l’autofinancement et un pilotage de la dépense de fonctionnement, qui permettrait de dégager 0,7% de produit d’investissement.
À cet effet, l’investissement en 2018 devrait être principalement autofinancé, avec une statbilisation de la dette et un recours à l’emprunt de l’ordre de 187 milliards d’euros. Pour autant, la reprise de la croissance anticipée pour 2018 resterait à un niveau bas (+6%).
En outre, Luc Alain Vervisch a tenu à rappeler que les collectivités n’ont pas attendu la loi de finances 2018 pour s’engager dans une logique d’économies, aujourd’hui prolongée en raison de la gestion structurelle des collectivités.

En conclusion, le directeur des Études a estimé qu’aucune logique de pression fiscale ne préside au devenir des collectivités, bien que leurs capacités de ressources soient encore incertaines.

DEUXIÈME TABLE RONDE : Vers une fiscalité solidaire ?

La deuxième table ronde a fait état des réflexions des Maires d’Issy-les-Moulineaux (92) et de Cergy (95), respectivement André Santini et Jean-Paul Jeandon, sur la contractualisation. Affirmant qu’ils s’y conformeront, tous deux ont néanmoins jugé insuffisants les indicateurs retenus, et affirmé ne pas réellement avoir le choix dans un processus où l’État s’impose plus qu’il en contractualise. Jean-Paul Jeandon craint ainsi que la dynamique de baisses de dépenses réalisées à Cergy, réinvesties derrière, ne s’interrompe avec les nouvelles dispositions. Le Maire a en effet estimé qu’un trop grand nombre d’indicateurs a été écarté, telle la capacité de remboursement de l’encours de dette ou encore la capacité d’investissement.

Stéphane Salini, Vice-Président de la Région Ile-de-France a partagé et déploré ce constat, en proposant une réflexion sur la fiscalité solidaire en Ile-de-France. Appelant à cesser toute opposition entre les territoires, l’élu régional a plaidé pour que l’État décide de la péréquation au sein des territoires, sans quoi la garantie républicaine et l’égalité des chances seraient à ses yeux compromises.
À ses yeux, la péréquation a pour fonction de gommer les disparités territoriales et sociales qui existent : si l’État n’intervient pas, les riches vont vouloir rester riches, et les pauvres s’enfoncer dans la pauvreté.

En Ile-de-France, la Région verse 800 millions d’euros – sur 4,2 milliards de recettes – à l’État pour la péréquation, sans pouvoir dire s’ils servent réellement à redistribuer les richesses. Appelant à évaluer les politiques publiques mises en oeuvre, Stéphane Salini a enfin dénoncé le système de contractualisation, imposé aux collectivités sous la forme d’un contrat qui, s’il était refusé par une collectivité, mettrait cette dernière en délicatesse. Enfin, le Vice-Président a appelé à affirmer l’autonomie fiscale des communes pour ne pas couper les élus locaux des citoyens qu’ils administrent.

Au terme de ces débats, les questions relatives à la gestion communale pour améliorer la performance publique ont été abordées dans une deuxième partie.

TROISIÈME TABLE RONDE : Retrouver de la visibilité fiscale et aller vers une autonomie budgétaire.

Au cours de la troisième table ronde, consacrée à l’autonomie des communes comme facteur de visibilité fiscale, le député Christophe Jerretie, co-rapporteur d’une mission flash sur l’autonomie financière des collectivités conduite en deux mois avec Charles de Courson, a ainsi appelé à une vraie refonte de la fiscalité, et non une réforme qui refaçonnerait avec de l’existant.

Pour ce faire, et contrairement à l’opinion d’Alain Richard, le député espère inscrire l’autonomie fiscale dans la Constitution. Prônant une autonomie complète des collectivités, intégrant l’autonomie financière, fiscale et budgétaire des collectivités, el député s’est dit partisan d’une loi de finances incluant tous les éléments touchant aux collectivités, et non un texte de loi traitant de ces sujets de manière fragmentée.

Christophe Mondou, Vice-Président à l’Université de Lille et élu local d’une petite commune du Nord, a quant à lui proposé une réflexion sur la gestion et la maîtrise de la dette communale, insistant sur la nécessité pour une commune de cadrer sa capacité de remboursement.
En 1982, pour asseoir la décentralisation, le choix a été fait de permettre aux élus locaux de voter les taux et l’emprunt a été libéralisé, pour permettre aux communes de maîtriser leurs ressources et réguler au mieux leurs dépenses et recettes. Selon Christophe Mondou, malgré quelques dérapages, pour lequel le législateur est intervenu (par exemple en 2013 avec la loi sur les activités bancaires, encadrant la manière dont les collectivités peuvent emprunter), les collectivités se sont bien gérées.
De la même manière, le PLF 2018-2022 a procédé à un rappel aux collectivités sur les délais d’emprunt, sans toutefoi poser la question des capacités de remboursement.
À cet égard, il convient dès lors de s’interroger sur la gestion de la fiscalité locale, entre politique d’emprunt et autofinancement.
En effet, le recoours à l’emprunt augmente sensiblement les délais de remboursement, et invite à une gestion active de la dette. En l’occurence, les collectivités bénéficient d’une plus grande liberté dans la gestion de la dette que dans le recours à l’emprunt, qu’il s’agisse de renégocier un taux ou de restructurer la dette, le second cas entraînant toutefois une dépense à intégrer au budget de fonctionnement.

Enfin, derrière la gestion active de la dette, la question de la libre disposition d’une collectivité sur son fonds d’emprunt se pose, les communes ne pouvant parfois pas en disposer librement.

Interrogé sur la mise en oeuvre de poitiques tarifaires pour assainir les finances locales, Corentin Le Fur, Adjoint au Maire d’Eaubonne en charge des Finances, a conlu la table ronde en interpellant l’auditoire sur sa définition d’une politique fiscale juste : une contribution universelle à l’impôt, une contribution de chaque citoyen au prorata de ses ressources, condition de la justice fiscale.
À ce titre, si le pacte fiscal n’est pas préservé, avec une aggravation de l’inégalité du citoyen devant l’impôt, le pacte social en sera altéré.
Pour lui, aujourd’hui en France, l’universalité de l’impôt et l’équité fiscale sont menacés, un foyer sur deux ne payant pas l’IR, et 6 millions de foyers fiscaux ne contribuant pas à l’impôt local. Cette anomalie aurait fait émerger les politiques tarifaires, perçues come un moyen de correction des déséquilibres, et d’amélioration de l’autonomie financière des communes.

Pour l’illustrer, Corentin Le Fur a pris l’exemple des prix fixés par la majorité sortante de sa commune pour la restauration scolaire, allant de 0,50 centimes à 8 euros le repas selon les familles. Jugeant cette politique irresponsable – corrigée ensuite par une harmonisation tarifaire – car présentant le risque de mettre les citoyens les uns contre les autres; l’élu a conclu à l’impératif de ne pas briser le pacte fiscal. Bien qu’il ne représente qu’une part infime dans le fonctionnement d’une commune, l’enjeu des politiques tarifaires devrait ainsi s’accroître dans les futures années, le citoyen ne pouvant indéfiniment supporter les coûts non assumés par l’État ou la collectivité pour assurer une continuité de service public, non négociable.

QUATRIÈME TABLE RONDE : Mieux maîtriser son budget de fonctionnement

La quatrième table ronde, consacrée à la bonne maîtrise du budget de fonctionnement, a enfin permis d’identifier les moyens d’évaluation budgétaire au niveau communal et les leviers d’action pour davantage d’économies internes et externes.

Gérard Terrien, Président de la Chambre Régionale des Comptes d’Ile-de-France, a indiqué que la maîtrise des charges de fonctionnement était très inégale selon les communes franciliennes, avant d’inciter les collectivités à recenser leurs principales dépenses de fonctionnement et de proposer des moyens d’optimisation budgétaire : gestion des personnels, autonomisation de certaines tâches, lutte contre l’absentéisme, temps de travail, maîtrise de l’énergie, etc.

Sylvine Thomassin et Olivier Wolf son Directeur Général des Services (DGS) ont ensuite rendu compte de l’expérience – en cours – de certification des comptes de la ville de Bondy. Présentée par la Maire comme un moyen et non une fin en soi, l’expérimentation réalisée avec la Cour des Comptes et baptisée Plan d’Organisation Sociale et Durable (POSD) vise d’abord à assainir les finances de la commune.

Pour y parvenir, quatre enjeux ont été identifiés : l’enjeu financier, avec la réduction du délai de désendettement ; l’enjeu politique, avec une politique fiscale et financière plus transparente (mise en ligne de données financières) ; l’enjeu managérial, avec une transformation interne des ressources humaines ; et l’enjeu administratif, avec la réorganisation du service financier de la ville. Partant, les objectifs identifiés sont une montée en compétences, un gain de performance et une amélioration du contrôle interne, articulés autour de trois axes stratégiques détaillés par Olivier Wolf. Décrivant l’opération comme vertueuse, ce dernier a ensuite rappelé que la certification n’avait pas pour objectif de réaliser des économies, mais de mieux maîtriser les dépenses de fonctionnement, selon trois axes stratégiques : la maîtrise de la dépense publique ; la réorganisation du service ressources humaines avec un plan de lutte contre l’absentéisme ; et la valorisation du patrimoine. Rapidement mis en oeuvre, le POSD semble faire ses preuves, notamment du point de vue de la masse salariale : d’un taux d’absentéisme très élevé, soit environ 13%, Bondy est descendue à 9,2%. Enfin, Olivier Wolf a recommandé un vrai copilotage politique et administratif pour conduire efficacement le processus de certification.

Dans ce même objectif d’amélioration de la performance publique, Laurent Cappelletti, Professeur au CNAM et Directeur à l’ISEOR, a invité les élus et fonctionnaires à faire l’inventaire des dysfonctionnements de chaque service et d’en chiffrer le coût.
Pour lui, plutôt que de céder au réflexe de couper dans les coûts visibles, il s’agit davantage de réduire les incidences sur les coût cachés, notamment du personnel.
À titre d’exemple, sur l’ensemble des collectivités, la déperdition budgétaire annuelle due aux coûts cachés (défauts de management, absentéisme, maladies professionnelles, dédoublements de tâches, etc.) s’estimerait à environ 6 milliards d’euros.
Pour y remédier, Laurent Cappelletti suggère de mettre en place des diagnostics participatifs, impliquant une mobilisation pleine des élus, des DGS et des agents, créateurs de valeur.

Enfin, Laurent Cappelletti a proposé de soutenir une réforme du statut de la fonction publique territoriale pour récompenser la vertu territoriale.

En conclusion de la table ronde, Valérie Mora, Directrice des Finances et du Contrôle de gestion de la ville d’Eragny-sur-Oise (95), est intervenue sur l’anticipation des coûts d’une manifestation publique, et a présenté l’outil novateur mis au point à Eragny puis avec la ville de Périgueux :  » Meven « .
L’objectif de cet outil de référence, né au sein du secteur public, est de faire face aux contraintes budgétaires d’une commune en agissant sur l’événementiel pour maîtriser les dépenses.
Grâce à Meven, une vision claire et précise des dépenses permet d’anticiper au mieux les coûts induits à une manifestation publique.

L’ambition actuelle est de développer l’outil pour chaque service. Pour information, Meven est désormais une marque déposée, gratuitement mis à disposition des collectivités.

La Secrétaire générale de l’AMIF a conclu le colloque en rappelant la nécessité de réformer le modèle de la fiscalité locale, avec les élus locaux :  » les Maires attendent des solutions concrètes en matière de finances locales, les solutions peuvent donc être cherchées directement au niveau local. L’avis des collectivités est à prendre en compte notamment dans les recommandations en termes de fiscalité, il est nécessaire de ne pas réduire les collectivités territoriales au simple rôle de notaire de l’Étart. Les collectivités ont les capacités de proposer des politiques différentes, pour faire avancer la démocratie et retisser du vivant parmi les concitoyens « .